C’est en février 2012 que la bibliothécaire chilienne Olga Sotomayor décide de créer sa propre maison d’édition cartonera dans la ville de Santiago. Ce projet est né comme « un exercice égocentrique » de la part de Sotomayor, qui, voulant publier ses écrits dans une maison d’édition, décida de fonder une elle-même. Il ne s’agissait pas, toutefois, d’une maison d’édition traditionnel: en effet, pour créer sa propre maison d’édition, Sotomayor s’inspira des maisons d’éditions cartoneras latino-américaines, dont elle avait fait connaissance à travers un atelier littéraire auquel elle avait participé. Dans le premier billet de son blog, elle explique ainsi que fonder cette maison d’édition lui a permis de rallier sa passion pour la littérature avec sa passion pour la création des carnets en plus de lui donner des outils pour pouvoir mener à bien ce projet.
En 2013, Miguel Araya est devenu co-éditeur de la maison d’édition Olga Cartonera, mais cette alliance ne dura pas longtemps et en 2017 la maison d’édition est redevenu un projet unipersonnel. C’est également en 2013 que le premier ouvrage a été publié sous la licence de Creative Commons par cette maison d’édition cartonera. Il s’agissait de Susurros que gritan, un recueil de textes écrit par la propre Olga Sotomayor. Depuis, 23 autres livres ont été publié par Olga Cartonera, variant entre poésie, nouvelle, « micro-relato », « tuit-relato », nouvelles pour enfants, entre autres. Olga Cartonera a également participé dans trois co-éditions avec d’autres maisons d’éditions cartoneras comme Nordeste Cartonero (Brésil) ou encore La Rueda Cartonera (Mexique).
En moyenne, entre 50 et 75 exemplaires sont publiés pour chaque ouvrage édité. Même si ce n’est pas une maison d’édition cartonera de large diffusion, Olga Cartonera promet que chaque exemplaire qui puisse être crée soit inédit et unique dans son genre. Cette maison d’édition cartonera est également engagée, comme c’est le cas dans d’autres maisons d’éditions cartoneras latino-américaines, dans l’achat des cartons a un prix plus élevé que la moyenne. Ceci dit, le fait d’acheter plus cher le carton avec lequel Olga Cartonera réalise la couverture de ses ouvrages ne se traduit pas par des prix plus élevé lorsqu’il s’agit de vendre les exemplaires au public. En effet, les ouvrages vendus par Olga Cartonera n’ont pas un prix fixe, ils sont vendus au prix libre. Ainsi, chaque acheteur potentiel est libre de prendre le livre qu’il veut au prix qu’il estime juste.
Ce choix de la part de la maison d’édition Olga Cartonera de ne pas limiter ses acheteurs à des prix fixes est un positionnement intéressant compte tenu du contexte éditorial actuel chilien. Pour cela, il est important de faire un petit pas en arrière afin de comprendre le contexte économique dans lequel se situent les maisons d’éditions chiliennes. En effet, comme beaucoup des pays latino-américains, le Chili a connu un coup d’état au début des années 70. Ce coup d’état a été le début d’une dictature très répressive, orchestré par le général Augusto Pinochet.
La période de la dictature est considérée par certains comme la première phase du modèle néolibéral au Chili. En effet, au niveau économique, le Chili a connu dès le début de la dictature des réformes néolibérales menées par les “Chicago Boys”. Ces réformes ont d’une part privatisé un grand nombre d’entreprises chiliennes et d’autre elles ont réduit considérablement le budget destiné à l’aide sociale de l’État. Au cours des années 80 des nouvelles réformes d’ajustements structurels plus progressives ont été mises en place pour libéraliser totalement l’économie du pays et l’ouvrir au marché international. Toutes ces réformes ont permis au Chili de se positionner comme un des pays latino-américains avec une des meilleures économies de la région, le tout au dépit des différents aides sociales grâce à l’application d’une forte politique d’austérité.
Le retour progressif de la démocratie au Chili dans les années 90 n’a pas toutefois supprimé totalement le modèle néolibéral qui règne dans la vie politique du pays. Le cas le plus emblématique étant le prix exorbitant de l’éducation supérieure au Chili, qui ayant été privatisée en 1981 par le général Pinochet, avaient maintenant la liberté de fixer leurs prix selon leur propre gré. En 2012, le Chili était considéré par l’OCDE (Organisation pour la Coopération et le Développement Économique) comme le pays avec l’éducation supérieure la plus cher au monde et le seul pays de la région latino-américaine où toutes les universités étaient payantes. Cet exemple montre bien les contradictions qui existent encore dans un pays se disant démocratique, mais où l’accès à l’éducation semblerait être un luxe dont seul un petit nombre pourrait se le permettre de le payer.
Le prix des livres est un autre exemple de ces contradictions: le Chili serait le pays avec la TVA (Taxe sur la Valeur Ajoutée) la plus élevée au monde (19%). Selon un article du site web RadioVilla Francia, comme pour la privatisation de l’éducation supérieure, c’est avec l’arrivée de la dictature que les livres ont connu l’imposition de la TVA. Acheter un livre est devenu aujourd’hui un luxe pour les chilien-ne-s, qui ne peuvent pas se permettre de payer un livre à 30 dollars avec un salaire minimum de 450 dollars.
Dans ce contexte, le fait de proposer des livres à prix libre constitue un positionnement fortement politique pour lutter contre l’inaccessibilité de la culture au grand public. La stratégie de positionnement de la maison d’édition Olga Cartonera semble se présenter comme une provocation de la part de sa créatrice, pour faire retourner le paradigme actuel qui affirmerait que l’accès à la lecture ne serait plus un besoin de première nécessité, comme il l’était avant l’arrivée de la dictature. Ainsi, le fait de proposer tout les ouvrages à prix libre constitue un forme de lutte compte tenu des enjeux économiques qui se trouvent sur les productions culturelles au Chili mais aussi de manière générale dans le monde.
Un autre élément intéressant de soulever de cette maison d’édition est la capacité de la part de sa fondatrice, Olga Sotomayor, a tissé depuis le début du projet, un large réseau avec d’autres maisons d’éditions cartoneras à l’intérieur du pays mais aussi au sein de la région latino-américaine. Par exemple, en Mai 2013 s’est crée la première rencontre des maisons d’éditions cartoneras à Santiago, un projet ambitieux voulant donner la parole à toutes ces maisons d’éditions non-traditionnelles éparpillées partout dans la région. Olga Cartonera a participé dès le début dans ces rencontres, ce qui lui a permis de faire connaissance avec d’autres maisons d’éditions cartoneras du Chili et de l’Amérique latine.
C’est ainsi par exemple que la page facebook d’Olga Cartonera, administré par Sotomayor elle-même, est souvent utilisé comme un espace pour partager les réussites des maisons d’éditions cartoneras amies d’Olga Cartonera, en plus d’informer les potentiels acheteurs des nouveaux ouvrages édités. Contrairement à la concurrence féroce souvent observée dans le monde des maisons d’éditions traditionnelles, le réseau d’Olga Cartonera semble montrer une autre face, plus solidaire et conviviale. C’est ainsi qu’une publication de Facebook a été créée pour célébrer et diffuser l’événement concernant la première publication d’une nouvelle maison d’édition cartonera LGBTQI chileno-vénézuelienne, La Maricartonera.
La page Facebook d’Olga Cartonera est également un espace pour partager avec les internautes les rencontres faites avec certaines des maisons d’éditions cartoneras amies ainsi que pour les informer sur les nouvelles dates pour participer dans l’élaboration des couvertures des ouvrages (ce qu’elle appelle les « Jornadas Cartoneras » comme celle présentée dans la vidéo ci-dessous), dans une optique d’inclusion et de collaboration. Selon le site web El Gran Viaje, Olga Cartonera serait une des seules maisons d’éditions qui ferait cela.
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Ainsi, Olga Cartonera dans sa façon d’agir, semble rompre avec le modèle dominant de concurrence au sein du monde des maisons d’éditions traditionnelles. C’est clairement une autre forme de provocation et de transgression de la part de sa créatrice, Olga Sotomayor, qui allant à l’encontre de la norme, décide d’enrichir son expérience comme éditrice avec la compagnie d’autres maisons d’éditions semblables à la sienne mais aussi à côté des collaborateur-trice-s non payé-e-s qui l’aident dans la réalisation des couvertures.
Nous pouvons donc noter que ces différentes stratégies de positionnement contre-hégémoniques ont permis à Sotomayor de gagner en capital symbolique, c’est-à-dire de gagner en légitimité et reconnaissance, même en étant une maison d’édition alternative. C’est pour cela qu’Olga Cartonera reste une des maisons d’éditions cartoneras les plus connues au Chili jusqu’aujourd’hui. Dans sa page Facebook, par exemple, Olga Cartonera est suivie par plus de 2000 personnes, alors que la moyenne semblerait être de pas plus de 500.
C’est possiblement grâce à cela que dès le début la réception du projet de Sotomayor a été très positive. Les interviews faites par des sites web indépendants ou encore les articles de presse publiés par certains journaux régionaux ont montré le projet d’Olga Cartonera comme une bonne initiative pour pallier le choix restreint de maisons d’éditions classiques mais aussi comme un vrai exemple d’auto-gestion. D’autres ont vu en elle une forme de lutte contre la production en série de livre permettant de démocratiser l’accès à la littérature mais aussi la publication d’œuvres littéraires.
Comme c’est le cas avec d’autres maisons d’éditions cartoneras latino-américaines, Olga Cartonera reste un bon exemple de ce qu’il peut arriver lorsqu’on décide de rompre avec le mode de fonctionnement dominant des maisons d’éditions traditionnelles et on décide de proposer un projet hors de la norme qui soit capable, enfin, de re-signifier le monde à travers la provocation.
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