Dans les pas de ces femmes…

Une centaine de paires de chaussures rouges qui envahissent l’espace public, voici l’exposition d’art public proposée par Elina Chauvet depuis une dizaine d’années pour sensibiliser à la violence de genre et au féminicide.

Elina Chauvet par Luis Brito

      L’art – illerie d’Elina Chauvet

Originaire de Ciudad Juarez (Mexique), alors étudiante en architecture, sa sœur décède sous les coups de son mari. Il ne sera jamais inculpé. Inconsolable, elle se réfugie dans l’art, essayant de trouver un moyen d’exprimer sa souffrance. Elle engage son art pour défendre la Femme et toucher l’opinion publique.

« Zapatos Rojos parte del amor y se despliega en la colectividad social…»

Elina Chauvet

Zapatos Rojos, part de l’amour et se déploie au sein de la collectivité sociale

D’inspiration surréaliste, l’exposition Zapatos Rojos née en 2009, dans sa ville natale de Ciudad Juarez. Dans une structure sociale machiste où la discrimination à l’égard des femmes est quotidienne, on assiste à une banalisation et à une normalisation de la violence de genre. À tel point que personne ne prête plus attention à l’amoncellement d’avis de disparition placardés dans les rues.

L’œuvre s’impose dans le quotidien, sur une place ou dans un parc. Par choix ou lors de déplacements, on se retrouve confronté à la réalité : on est impacté visuellement, heurté mentalement.

Le travail d’Elina Chauvet a la particularité d’aller à la rencontre des gens, sans distinction de sexe, âge, niveau de vie, nationalité… Sans un mot, chacun peut être touché.

     Être Femme au Mexique

Selon un rapport de UN Women de 2017, sur les 25 pays au monde où l’on dénombre le plus de crimes à l’encontre des femmes, 14 pays sont latino-américains. Le Mexique arrive tristement en tête avec, en 2016, plus de 7 décès par jour.

Depuis les années 90, le Mexique connaît une recrudescence des violences faîtes aux femmes. Dans un contexte économique et social difficile, les femmes sont les plus vulnérables. Suite aux accords de libre échange (ALENA), le taux d’urbanisation (lié aux délocalisations d’entreprises américaines) et la migration  des populations les plus pauvres vers les villes a augmenté. Attirées par la perspective d’une meilleure situation, les femmes se retrouvent piégées. Avec un taux de scolarisation inférieur à celui des hommes et discriminées à l’emploi, elles se retrouvent contraintes d’accepter des travaux précaires, dans des conditions abusives pour subvenir à leurs besoins et ceux de leurs familles. Les salaires de misère ne suffisant pas, elles sont happées par des réseaux de prostitution et de trafic en tout genre.

En 2007, le Congrès adopte la Ley General de Acceso a las Mujeres para una Vida libre de violencia soit la Loi Générale d’Accès aux Femmes pour une Vie sans violence. Le terme féminicide apparait pour la première fois dans un texte juridique. Toute alerte signalée doit entraîner le déclenchement d’un plan d’action immédiat. Pourtant, dans un bulletin publié en 2015, l’OCNF[2] affirme que moins de 5% des incriminés sont poursuivis. L’inaction des autorités semble s’expliquer par la crainte des réactions masculines dans les urnes. L’impunité contribue à la normalisation de la violence de genre.

Les systèmes politiques, économiques et sociaux paraissent alimenter ce climat hostile à la Femme. Là, intervient l’art…

     Quelle couleur de chaussures ? Quelle pointure ?

Voici les questions posées aux familles pour identifier les femmes disparues dont on ne retrouve souvent que les chaussures et quelques vêtements.

Témoignage de l’absence de ces femmes assassinées, ces paires de chaussures suggèrent le vide laissé par ces disparitions aux familles, aux proches. Paradoxalement, ce vide prend beaucoup de place : le public ne s’aventure jamais entre les paires de chaussures.

Le symbole de la chaussure est aussi un moyen de toucher chacun d’entre nous. Cet accessoire, commun à l’ensemble de l’humanité nous permet d’avancer, de laisser nos empreintes, nos traces. Chaque paire raconte une histoire, révèle une personnalité. Ne dit-on pas d’ailleurs, « être bien dans ses baskets » ? On peut s’imaginer que la paire de tennis était celle d’une joggeuse, que la paire de sandales fantaisies était celle d’une jeune femme qui aimait les nouvelles tendances, que la paire de talon aiguille appartenait à une femme élégante qui aimait s’apprêter… Mais on y voit aussi les multiples facettes d’une femme, entre sa vie personnelle et professionnelle : femme, mère, épouse, travailleuse, artiste, militante, sportive, voyageuse…

 

Los Zapatos Rojos – Elina Chauvet

La couleur rouge, couleur de la passion et de l’amour fait aussi écho au sang, à la barbarie. Ce double rapport souligne le fait que dans la plupart des cas, les violences sont subies au sein du couple, les coups étant portés par le mari, le compagnon. Cette contradiction reflète le machisme ambiant. Cela vision installe un certain malaise chez le spectateur : comment une histoire d’amour peut elle terminer dans le sang ?

« La exposición es extraordinaria para concientizar y sensibilizar a toda la población sobre el tema de la no violencia. »

Carmen Chauqui – membre de l’ONG Familiares de Víctimas contra la Impunidad

L’exposition est extraordinaire pour conscientiser et sensibiliser toute la population au sujet de la non violence.

     Prendre part à l’œuvre, c’est devenir acteur

Les expositions proposent une interaction avec le public. Elina Chauvet veut une « œuvre collective ». De 33 paires en 2009, Zapatos Rojos compte aujourd’hui des milliers de paires, envoyées de par le monde.

« Esta es una obra que deja de ser propia para convertirse en un colectivo. »

Elina Chauvet

C’est un travail qui ne doit plus être mien, pour se convertir en travail collectif

Chacun est invité à envoyer ou à venir déposer sa paire de chaussures et à la peindre sur place, à l’atelier peinture prévu à cet effet. Certaines paires sont le témoignage de violences subies, d’autres le témoignage de la perte d’une mère, d’une fille, d’une sœur, d’autres sont un soutient à la cause. Ainsi, les gens échangent leurs histoires, témoignent, se soutiennent. La douleur personnelle est partagée, elle devient publique, elle devient celle de tous.

     Des chaussures qui font du chemin : Zapatos Rojos, Scarpe Rosse, Røde Sko, Red Shoes…

La diffusion de l’exposition se fait aussitôt. D’abord à l’échelle nationale, Mexico, Guadalajara puis sur le continent Latino Américain : Argentine, Chili, Équateur, Brésil… Elle arrive ensuite en Europe grâce notamment aux réseaux sociaux, Instagram, Facebook et différents sites relayent l’exposition qui devient un réel mouvement. L’Espagne organise rapidement des évènements dans une dizaine de villes. En Italie le projet est très bien accueilli : en 2013, Zapatos Rojos est sélectionné pour représenter la Journée Internationale pour l’Élimination de la Violence contre les Femmes à Milan. Puis des répliques auront lieux à Turin, à Gènes… La Grande Bretagne et la Norvège participent aussi à la diffusion du mouvement.

En 2016,  un nouveau cap franchit. La ville d’El Paso, au Texas accueille Zapatos Rojos.

À aujourd’hui, plus d’une cinquantaine de manifestations similaires ont eu lieu à travers la planète.

La portée internationale de Zapatos Rojos démontre bien que les violences faites aux femmes ne concernent pas seulement les pays latinos américains mais qu’il s‘agit d’une problématique mondiale qui ne connaît pas de barrière nord – sud, riche  – pauvre.

     Soutien

Soutenue par le mouvement Ni Una Menos et l’ONG Amnesty International, Elina Chauvet collabore sur différents projets, notamment sur des concours de performances artistiques liées à la question de genre.

Affiche d’Amnistía Internacional Valencia à l’occasion du Prix Zapatos Rojos : Concours de micro-récit et poésie sur le thème de la violence de genre – Hiver 2015

En 2016, dans la ville de San Isidro en Argentine, s’est tenue la foire d’art contemporain Arte Espacio. En partenariat avec l’association Ni Una Menos, l’organisation a lancé un appel à participation à l’exposition d’Elina Chauvet en sa présence. Artistes et anonymes ont répondu présents.

Une fois l’exposition démontée, les chaussures ont été redistribuées aux personnes dans le besoin par un organisme social.

     Un symbole qui inspire

L’utilisation de la chaussure comme symbole militant par Elina Chauvet n’est pas sans rappeler celle d’Handicap International. En 1995, cet organisme lance la première pyramide de chaussures pour « mobiliser les citoyens contre les mines et les bombes à sous-munitions, et contre l’utilisation des armes explosives en zones peuplées ». 

À travers une mise en scène spécifique de la chaussure, chacun alerte l’opinion publique sur un problème particulier.

     À vos calendriers !

8 mars 2018 – Chicago Exposition Zapatos Rojos au Women’s Center & Latin America & Latino Studies

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[1] Entretien avec Elina Chauvet par Mercedes Domenech    https://secretolivo.com/index.php/2017/05/10/elina-chauvet-arte-contra-el-feminicidio/

[2] Observatorio Ciudadano Nacional del Feminicidio, 2015, http://observatoriofeminicidiomexico.org.mx/boletines-de-prensa/boletin-alerta-de-genero-estado-de-mexico/  (Date de consultation: 2 février 2018).

[3] Article de l’artiste – 2013   https://zapatosrojosartepublico.wordpress.com/2013/06/19/13/