En Colombie, le street art explose dans les années 2000 envahissant les rues de couleurs, cet art est souvent un outil de dénonciation du système politique ainsi que de la violence régnant dans le pays. Bastardilla est une street artiste venant de Bogota, elle tapisse la capitale colombienne d’images de femmes, mais on retrouve aussi son travail dans d’autres pays tels que la Belgique, l’Allemagne ou l’Italie où elle travaille avec de nombreux artistes.
Le blog
Le blog de Bastardilla est une arme poétique et un hommage à la résistance et à l’empoderamiento des femmes, on y retrouve des dessins revendiquant la place de la femme dans la société colombienne ; comme sur ce dessin ou une femme déracine des godets de pelleteuses dont les racines sont des crânes humains, tandis que sa fille porte dans ses bras un arbre à replanter. Les femmes et la nature sont des thèmes récurrents de ses œuvres et marquent notamment son opposition au machisme, au capitalisme et ici à l’exploitation de la terre.
Bien qu’elle soit majoritairement connue pour son travail urbain, sur son blog, Bastardilla accompagne les photos de ses œuvres de ses propres photos et dessins, ainsi que de citations, textes ou poèmes d’autres artistes féministes ou engagés comme elle. L’organisation du blog permet parfois de découvrir des détails de ses œuvres qui sont en réalité des fresques murales de plusieurs mètres de haut. Les photos se succèdent proposant des prises de vues proches, puis plus éloignées de l’œuvre ce qui permet d’observer des éléments précis que l’on aurait pu manquer à l’œil nu.
Ses œuvres sont souvent vivement colorées et comportent de nombreux détails. Une technique que l’on la voit utiliser fréquemment dans les vidéos où elle crée ses fresques murales de très grande taille est de faire des effets avec un balai ou une brosse. Cette technique semble donner vie et mouvement aux personnages. Leurs visages sont souvent expressifs et les femmes qu’elle représente semblent fortes, ce qui revendique une représentation plus juste des femmes dans la vie politique, sociale et culturelle du pays.
« Pues si pinto muchas mujeres, pues porque es una elaboración super personal de mi vida. Nací mujer y me ha tocado lidiar ese tipo de cosas, lidiar con que me quieran violar, lidiar con que no me tomen en cuenta para algunas cosas, lidiar con una manera de ver el mundo que gira alrededor de los hombres. »
Bastardilla
« Je peins beaucoup de femmes, parce que c’est une élaboration très personnelle de ma vie. Je suis née femme et j’ai été confrontée à ce type de choses, confrontée à ceux qui voulaient me violer, confrontée à ceux qui ne me prenaient pas en compte pour certaines choses, confrontée à une manière de voir le monde qui tourne autour des hommes. » Bastardilla (Propos tirés du reportage vidéo Défense d’afficher, France 3, 2012, transcrits pas Maria Alejandra Hernandez Moreno)
On retrouve aussi beaucoup dans son œuvre l’héritage indigène de la Colombie. La forte présence de la nature ainsi que la récupération des codes et racines indigènes (couleurs, tenues, traditions) est perçue comme forme de protestation contre le capitalisme mais aussi comme la promotion des valeurs essentielles que sont l’humanité et la nature. Ainsi, Bastardilla récupère les valeurs traditionnelles attribuées aux femmes pour en faire une arme contre l’avancée de la globalisation et l’exploitation des femmes.
Son blog : http://www.bastardilla.org/
Bastardilla en vidéo
Bastardilla a aussi une chaine Vimeo sur laquelle elle poste des vidéos sur ses œuvres mais aussi sur d’autres thèmes. Les vidéos peuvent présenter une œuvre en apportant des précisions sur son contexte, c’est le cas par exemple de ANA FABRICIA CORDOBA où la vidéo mêle des images de la vie du quartier où prend place l’œuvre avec des images du processus de création de la fresque. Dans ces vidéos Bastardilla aime surprendre les regards curieux des passants sur son travail. Cette vidéo porte aussi un fort message politique, présent déjà dans son nom qui est celui d’une militante qui œuvrait notamment pour les droits des populations déplacées part les conflits en Colombie assassinée en juin 2011 pour son combat.
Les vidéos sont généralement accompagnées d’une bande son portant un message politique c’est le cas de la vidéo Baladas para un juego camuflado, où Bastardilla dénonce la violence notamment permise par les gouvernements dont le commerce et l’économie reposent sur le marché des armes à feu. Une des musiques de cette vidéo s’intitule No al servicio militar du groupe Polikarpa y sus viciosas. Des paroles fortes et anti-militaires « Ya no quiero mas soldados. Asesinos a sueldo del gobierno » pour dénoncer encore une fois la violence en Colombie.
La vidéo A☁L☁T☁O montre les quartier ou prend place une des œuvres de Bastardilla, on y voit les habitantes se tressant les cheveux et les téléphériques menant au quartier en hauteur de la ville de La Paz.
source : https://vimeo.com/275226108
Sa chaîne Vimeo : https://vimeo.com/bastardilla
Trenza
Trenza est une œuvre murale réalisée par Bastidilla en 2017. Elle représente sept femmes liées par leurs chevelures tressées formant une sorte de toile d’araignée. Dans cette toile semble comme emprisonnée, une paire de ciseaux vêtue comme les membres du Klu Klux Klan excepté que la croix présente sur leur poitrine est remplacée sur la fresque par un dollar. La paire de ciseaux représenterait donc le capitalisme capturé par les femmes. La fresque est une vue en contre-plongée de la scène. Les femmes représentées dans des tons chauds semblent chaleureuses en opposition avec la froideur du personnage central.
Les tresses sont un élément récurrent de l’univers de Bastardilla. En effet, une page de son blog intitulée A☁L☁T☁O montre des photos de femmes se faisant des tresses prise dans le quartier El Alto de La Paz en Bolivie ainsi qu’une vidéo d’une de ses œuvres visible depuis le téléphérique permettant d’accéder à ce quartier. A la fin de cette page se trouve un texte écrit par Yola Mamani, une femme chola expliquant la relation culturelle complexe des femmes cholas à leur coiffure. Elle explique que différentes croyances y sont attachées, par exemple lorsque sa mère est triste, tresser ses cheveux est un rituel lui permettant de chasser les mauvaises énergies. Qu’il ne faut pas jeter ses cheveux par terre car un oiseau pourrait les ramasser pour faire son nid et que cela rend le cuir chevelu plus sensible ou encore car une fois morte il faudra les ramasser un à un. Elle explique ensuite, que cette chevelure faisant leur fierté et véhiculant de nombreuses significations, peut aussi être l’instrument de punitions. En effet, on répète aux jeunes femmes de ne pas fréquenter d’hommes mariés et de ne pas commettre d’adultère. Si elles le font, leur punition peut être de couper leurs cheveux. Une punition unilatérale puisque un homme n’a lui, jamais de punition pour le même genre de comportements. Yola Mamani termine en expliquant que à la campagne, se faire couper les cheveux est presque la mort civile des femmes qui, même si on ne sait pourquoi elles ont les cheveux coupés, seront mal vues par leur communauté.
Sur cette œuvre les tresses auraient donc un double sens, les femmes se réapproprient le pouvoir de leurs cheveux pour lutter contre le capitalisme. Le personnage emprisonné a la forme d’une paire de ciseaux, ustensile utilisé pour couper les cheveux des femmes pour les punir de manière injuste. Les cheveux, symbole d’aliénation des femmes est ici resignifié comme un moyen de lutte, puisque c’est grâce à eux que les femmes capturent leur ennemi. La paire de ciseaux symbolise donc le patriarcat, sa tenue le racisme et le symbole en forme de dollar sur sa « potrine » le capitalisme. Autant de barrières à la liberté des femmes chola qui, non seulement subissent des discriminations de par leur statut de femmes, mais aussi de par leur ethnie et leur classe sociale.
Sur cette fresque, des femmes s’unissent pour lutter contre le racisme, le patriarcat, le capitalisme, tant de caractéristique violentes et omniprésentes dans leur quotidien, que l’union leur permet de vaincre.
Le street art est aussi un choix de support accessible à tous. Bastardilla veut que ses œuvres puissent être admirées par chacun sans avoir besoin de codes particuliers pour les lire ou les comprendre : une manière de rendre l’art et la culture universels. Elle a d’ailleurs refusé de travailler pour de grandes entreprises estimant que en un sens, cela lui ôterait un peu de sa liberté d’expression. Son travail est généralement bien reçu, car bien que le street art soit au départ une forme d’art criminalisée dans l’espace public, elle est légale en Colombie depuis 2011. De nombreux articles de web-magazines parlant de la culture urbaine reconnaissent son travail. Elle est aujourd’hui considérée comme une des street artistes colombiennes les plus reconnue nationalement et internationalement.
Le blog de Bastardilla est une véritable plongée dans son univers. Photos, musiques, poèmes et écrits nous font comprendre le sens de ses œuvres. C’est donc à travers des fresques murales immenses et visibles par tout le monde que Bastardilla propose sa vision de la vie, une vision transmettant des messages de douceur, d’espoir, d’indignation et de résistance face à une société violente. Bastardilla s’attache à faire comprendre que les femmes et la nature sont autant de réponses à la violence et à la domination masculine qui règnent dans nos sociétés.
Pour en savoir plus sur Bastardilla
- Sur facebook :
https://www.facebook.com/Bastardilla-117121991777402/
-
Ou encore via le web-reportage DÉFENSE D’AFFICHER :
Bravo pour l’initiative Bastardilla et bravo pour le post.
Comme t’as bien expliqué dans l’article, l’art est un moyenne de reivindication et de dénnonce, une arme pacifique qui donne voix à les minorités et les rend plus visibles. Ainsi, l’art est une évocation à la reflexión qui nous transporte à différents réalitées et nous laisse un espace pour l’appréciation. L’art nous amenne à raisonner sur leur signification et leurs elements et aussi à considérer leur context historique et le motif de leur création. Dans le cas de Bastardilla, au-déla de l’art élitiste et conventionale, on trouve le street art, que se positionne déhors des standars marqués pour le système capitaliste et d’achat.
On parle d’un art avec des principes et des valeurs éducatifs qui ne sont pas attachés aux principes économiques et libérales, qui ne sont pas attachés au pouvoir. Plutôt, le street art a un positionnement politique clair car l’art est présenté au milieu de la rue, dans l’espace publique. Le street art de Bastardilla communique des messages à partir de la réapropiation de l’espace publique, et rende visible à tous et toutes leurs ouvrages avec ses propres cannons, personnels, uniques et avec une narrative très intense derrière de l’illustration.
Les ouvrages de Bastardilla sont des créations magnifiques et comptent avec une grande charge de significants et significats, avec une grande charge de réivindication et valeur emotionale que l’argent ne peut pas acheter.
Dans une société violente et élitiste comme la nôtre quoi de meilleur que fair servir l’art comme sustitut de la virulence et la colère pour transmetre des messages éducatifs et culturels qui attire nôtre attention par les couleurs utilisées et les images dessignés chargés de contennu.
Autre enjeu que j’aimerai rémarquer sont les messages du féminisme et du pouvoir des femmes et leur lien avec la nature que Bastardilla illuste et partage avec nous.
Le lien que font les femmes latino-américaines avec la terre et l’environnement est très fort et est une question qui m’attire et aussi m’émotione.
Ça me fait penser à des femmes activistes comme Lolita Chavez, Marielle Franco ou Ruth Alicia López Guisao, qui ont lutté ou luttent pour les droits des femmes et les droits de l’environnement d’une façon transversale. Les femmes sommes discriminées dans nôtre société et nos corps sont exposées à l’exploitation et au marché capitaliste dans tous les sens. De la mème façon, la terre est considéré comme un produit et est exposée à l’extractivisme et l’exploitation de ressources. Maintenant le message est clair, les femmes doivent sauver la terre, et seule les femmes peuvent changer le système capitaliste déstructeur et patriarcal que le pouvoir a instauré. La terre et les femme sont les deux créateures de vie, et si les femmes ne essayent à faire une preuve d’empathie avec l’environnement, qui doive le faire? En effet, on voit que il y a une grosse révolution et un grand mouvement de femmes engagées autour du monde qui luttent pour un changement de notres structures et schemes sociales instaurés . ‘El cambio será de las mujeres o no será’
Comme bien nous transmet l’image de Bastardilla avec le slogan ‘Luchamos para seguir siendo nosotrxs mismxs’ et que nous montre Delphine au post, le système doit il être déconstruit, déchiré, pour pouvoir reconstruir et semer une société sans préjudice ni inégalité, avec des valeurs solidaires et communals, qui marchent selon et avec les principes environnementals.
Heureusement, la globalisation n’a pas porté que des choses negatives. À mon avis, un des éffets collatérales qu’a eu la mondalisation est la connexion qu’est née entre les personnes de la Terre, les liens et les tissus qu’on a brodé pour creer des réseaux incroyables. Aujourd’hui on peut se servir des plataformes comme cela pour partager notres avis et travailler ensemble, on n’est pas teutes seules et on s’est rendue compte que nous sommes beaucoup. C’est magnifique que nous pouvons travailler ensemble et nous communiquer les différents réalités, positionnements et besoins à partir de différents supports: les murs et les réseaux
Merci Delphine pour la découverte de cette artiste.
Je trouve extrêmement intéressant le fait de mettre en avant un travail et un art féminin ainsi que féministe. A travers le street art, qui comme tu le mentionnes, est accessible à tous de par son emplacement, l’artiste peut faire passer un message auprès d’un public extrêmement large. L’emplacement peut parfois même contraster avec le message et l’image, et c’est cela qui rend le travail intéressant.
Ici, on se rend compte qu’il s’agit de dénoncer tout un système politique établi, notamment en ce qui concerne le capitalisme, qui en Colombie est étroitement lié au patriarcat, autre réel problème et gangrène de ce pays.
L’inspiration et la reprise de divers symboles centraux des cultures et civilisations latinoaméricaines, tels que les tresses comme mentionnées dans ton billet, contrastent avec le capitalisme notable dans le pays. Cela met en évidence qu’un futur sain et stable se trouve dans la pensée indigène et que la Colombie devrait se rapprocher de ses racines.
La citation que tu as choisie afin d’illustrer ton propos me fait penser au collectif Vamos Mujer qui est basé à Medellin mais qui mène également des actions dans la ville de Bogota. Il s’agit également d’un blog et je retrouve de nombreuses caractéristiques communes, notamment l’empoderamiento des femmes colombiennes dans un contexte de conflit armé national. La dénonciation et la lutte contre les violences en Colombie y est également un élément central. Dans ces deux cas, il ne s’agit pas seulement de lutter mais également d’éduquer.
Le double support de son travail (la rue et internet) est à l’égal de son double message. A première vue, il s’agit d’une simple fresque murale mais si on regarde l’ensemble des symboles représentés le message est bien plus profond.
Après la lecture de ton billet, je suis allée jeter un œil au travail de Bastardilla sur son blog et je me suis retrouvée transportée, autant par les œuvres de street art que par les textes qui les accompagnent. Ces phrases souvent versifiées sont le parfait miroir des œuvres criantes de l’artiste.
J’ai trouvé le travail de cette artiste, d’une grande intelligence émotionnelle. Encore merci du partage et de m’avoir permis de la découvrir.