Suite à l’arrivée au pouvoir d’Hugo Chavez en 1998 et tout au long de 18 ans de la Révolution Bolivarienne le gouvernement vénézuélien a essayé d’instaurer un courant de pensée révolutionnaire. Au début de la révolution ce mouvement avait gagné la sympathie du peuple vénézuélien et des artistes. En 2005, le gouvernement a pris la décision de centraliser l’activité artistique ayant comme conséquence la disparition des grands programmes de culture et laissant sans financement un grand nombre de festivals, concours, journaux, musées régionaux, bibliothèques et librairies. Selon plusieurs artistes, cette mesure a aussi affecté la souveraineté des institutions et a créé une division dans le secteur artistique donnant lieu à un secteur « officiel » et un secteur indépendant. Alberto Barrera Fyszka, écrivain exilé au Mexique, affirme qu’au Venezuela le secteur officiel artistique est le seul qui reçoit un financement de l’État. En même temps, il accuse le gouvernement d’exiger la loyauté acritique à ceux qui reçoivent du financement. En conséquence, ce panorama a permis l’apparition d’un mouvement artistique né de la nécessité d’exprimer leur mécontentement envers ces politiques répressives et face à l’actuelle crise politique, économique, sociale et humanitaire que vit le pays.
Fabian Rodriguez et son travail
Dans le cadre de ce mouvement indépendant intervient Fabian Rodriguez, cinéaste et directeur créatif du producteur audiovisuel « Cometa Negra ». Fabian est né à Mérida, au Venezuela.
Il a obtenu sa licence de gestion dans l’École des média audiovisuels de l’Universidad de los Andes. Parmi ses œuvres figurent les court-métrages Almuerzo con Extranos (2010), Atala (2012), Penetrable (2012), Le fils de Satan (2013), Maricos (2014), Criada (2014) et Coco (2018). Rodriguez a été sélectionné pour participer dans plusieurs festivals de films nationaux et internationaux entre eux : Biennale 65 Arturo Michelena Salon 2010, Manuel Trujillo Durán et Chorts 2012, Venezuela, Lakino Berlin 2015, 20e édition du Festival du film de Milan / Italie 2015, le Festival international du nouveau cinéma latino-américain de La Havane-Cuba 2015 et le Festival de CinéLatino à Toulouse en 2018.
https://cometanegra.com/nosotros/
Très actif sur les réseaux sociaux, Fabian se sert de ces outils de communication pour s’exprimer dans le cadre d’une extrême censure des média, les seuls moyens qui échappent au contrôle de l’Etat, parmi eux : Youtube, Vimeo, Instagram et Facebook. En analysant son travail, nous constatons un fort engagement à exposer la problématique autour des extrémismes dans la politique de droite comme de gauche. Il traite également le cas de la communauté homosexuelle vénézuélienne à travers lequel il souligne le manque d’engagement de l’État pour reconnaître leurs droits ainsi que la complicité du gouvernement dans le renforcement de l’hétéronormativité depuis l’espace gouvernemental jusqu’à l’espace publique.
Parmi ses œuvres nous voulons remarquer son travail photographique, intitulé « Mi Hija y yo », né d’une initiative personnelle sans aucun financement. Il publie ses œuvres sur ses comptes de Facebook et Instagram car ces réseaux sont les seuls qu’il peut utiliser librement. « Mi hija y yo » est composé d’une série de photos construites à partir d’une mise en scène où l’acteur mélange des éléments symboliques pour montrer une situation de la vie quotidienne. L’œuvre se présente comme une sorte d’album photo familial ou de journal intime où lui et sa fille sont les personnages principaux. Pour représenter sa fille l’auteur se sert d’une poupée avec laquelle il réalise des mises en scène représentant des événements importants de l’histoire actuelle du Venezuela. Aussi, il cherche à montrer la perspective de sa propre quotidienneté dans le cadre de la crise sociale, politique, économique et humanitaire que vit son pays.
L’auteur manifeste que :
« Dans cette séquence fictive, j’aborde une réalité dans laquelle je me trouve immergé ; où il s’impose des règles que je souligne et je rejette depuis ce lieu où j’habite, ce lieu que je considère comme le mien, un pays comme le Venezuela. Mi Hija y yo est une image dans laquelle un certain type de relation se manifeste que je construis à partir de ma condition sexuelle, mes idéaux, mes émotions et ma posture face à la vie ».
Œuvre Mi hija y yo « Macho colonisador »
firulderiul Ma fille, sa vieille amie et moi, dans la mise en scène « macho colonizador », dans le cadre d’un pays dont le gouvernement a porté l’hétéronormativité à ses plus hauts rangs militaires, perpétuant toutes sortes de stéréotypes sournois et superficiels, afin d’être les éternels « caciques » (chef de la tribu), les plus grands « pranes » (chefs de bandes criminelles organisées dans les prisons) ou les précurseurs de l’arc minier, avec lesquels ils essaient de sauver le pays, mais en le faisant couler.
L‘Art Conceptuel au service de la dénonciation sur les réseaux sociaux
Dans cette collection nous constatons que son travail s’inscrit dans le courant de l’Art Conceptuel, lequel est défini non par les propriétés esthétiques des objets ou des œuvres, mais seulement par le concept ou l’idée de l’art. Spécifiquement dans l’œuvre de Fabian Rodriguez nous percevons l’utilisation des éléments iconiques qui appartiennent à l’imaginaire collectif dans le contexte sociopolitique et historique actuel vénézuélien. Son activité s’inscrit dans le courant de la photographie conceptuelle subjective laquelle permet un grand nombre d’interprétations possibles ouvertes pour le spectateur. L’artiste compose des scènes qui nous rapprochent et activent la mémoire visuelle profonde en se servant de l’univers symbolique vénézuélien. Ceci permet au récepteur de rentrer dans le contexte de l’œuvre à partir de son regard personnel.
A Gauche; Fabian Rodriguez re-interprete Miranda en la Carraca A droite: Version originale Miranda en la Carraca Arturo Michelena 1896
Parmi les implications de la photographie de Rodriguez nous remarquons la dénonciation de la répression contre l’exercice libre de sa profession, la critique contre le système politique établi, et la répression que vit la communauté homosexuelle. Cette dénonciation est brillamment faite à travers ses mises en scène qu’il enregistre à travers la photographie et qu’il accompagne avec une voix additionnelle. Cette voix lui permet de créer un dialogue entre sa fille et lui, faisant une introspection et poussant ainsi le lecteur à la réflexion.
Œuvre sans nom
La vie est notre plus grand trésor. Un gouvernement doit la garantir, c’est leur devoir. « La Guardia Nacional Bolivariana » (GBN) guidée par le Chavisme est responsable des morts survenues aujourd’hui et tous les jours de manifestation. (31 Septembre 2017 lors de manifestations des étudiants)
Nous devons prendre soin de nous-mêmes, subvenir à nos besoins plus que jamais afin qu’aucun autre Vénézuélien ne meure.
La lumière au Venezuela est infinie, elle est plus puissante que nous le pensons.
Force pour tout le monde! ! !
Liberté pour notre pays! ! ! Nam miojo rengue kio
Cette voix additionnelle nous permet d’aller au-delà de la photo et nous rapproche de l’artiste. Nous pouvons mieux comprendre ce qu’il voulait exprimer avec son œuvre à travers ses propres expériences et sa propre réflexion. Ainsi, le spectateur peut avoir un regard approfondi des émotions de l’artiste et de sa pensée. Grâce à tous ces éléments nous considérons que le travail de Rodriguez nous permet non seulement de nous connecter avec lui sur le plan visuel et sensoriel mais aussi d’avoir un dialogue profond entre l’œuvre, nous et l’auteur.
De plus, le fait de pouvoir ajouter des commentaires sous l’image et d’avoir un retour direct de l’artiste est fait que marquer une différence importante avec d’autres formes d’expression artistiques tout comme l’utilisation de hashtags pour nous connecter avec d’autres artistes et des thèmes qui ont une relation avec l’œuvre. Pour cette raison, ce travail, ayant été récemment exposé au Mexique, commence à avoir une importante acceptation au milieu du public vénézuélien et international. Nous vous invitons à connaître le travail de cet artiste à travers ses réseaux sociaux, à le suivre, à commenter et à partager ses œuvres :
Youtube/Fabianrodm
Vimeo.com/fabianrodriguez
Instagram.com/firulderiul ( mi hija y yo)
Et de voir son travail à l’exposition collective d’auteurs vénézuéliens dans l’«Espacio GAF » Cartografia politica de Venezuela : https://www.espaciogaf.com/exposicion-colectiva-de-autores-venezolanos-ven-cartografias-politicas/295658#jp-carousel-295696
Auteur de l’article: Barbara Montoya
Étudiante Master 2 IPEAT. Université Jean Jaurès.
Instagram: barbar727
Cet article m’a particulièrement captivée, car je trouve que cet artiste à travers son art dénonce la violence physique envers tous les groupes de personnes. A la différence de l’artiste Daniel Arzola qui lui dénonce la violence surtout envers les personnes transgenres et les homosexuels. C’est d’ailleurs ce qui fait de son art un discours universel comme il est précisé dans l’article Des couleurs qui crient égalité : dessiner la diversité, effacer la discrimination, bien que celui-ci soit né et ait débuté au Venezuela. L’artiste Miyo Van Stenis dénonce elle aussi la violence mais sans faire de distinction de communauté. En réalité, bien plus que la violence physique Miyo Van Stenis dénonce surtout la violence »silencieuse » qu’exerce le gouvernement avec la censure. Une censure que dénonce aussi Fabian Rodriguez à travers ses œuvres sur ces réseaux sociaux.
Je trouve extrêmement intéressant le fait qu’il ait choisi une »petite fille » pour l’accompagner sur les photos et non un petit garçon. Nous vivons encore dans un monde patriarcal et je pense que l’image de la petite fille qui représente la pureté, l’innocence, la fragilité, est encore un symbole fort présent dans l’imaginaire des personnes. Cela peut donc créer une réaction plus forte auprès des spectateurs. Je trouve le choix de se mettre en scène dans une série de photos au lieux d’une vidéo fortement intéressant car les photos sont prises à un moment précis de la vie, et sont souvent prises pour garder, enfermer en boite un moment joyeux et pouvoir le ressortir plus tard pour s’en rappeler. Alors que le Miyo Van Stenis enferme le spectateur dans un monde virtuel, Fabien Rodriguez lui enferme ces moments honteux que fait vivre le gouvernement en photo.
Ce que je trouve tout de même triste c’est que ces trois artistes Vénézuéliens sont tous trois exilés et bien qu’ils communiquent à travers leur réseaux sociaux et que cela permet d’avoir une autre vision de ce qui se déroule dans le pays, je me demande donc si leur art qui dénonce cette violence dans le pays arrive jusqu’à la population vénézuélienne ?