Les cartoneras en Équateur
Les cartoneras sont, depuis 2003, un véritable acte de résistance social, et c’est un nouvel espace ou la littérature et les arts graphiques peuvent se propager. Les cartoneras sont très présentes lors d’exposition d’art, de concert et dans les centres d’études alternatifs et cela ouvre de nouvel espace de diffusion de la littérature contemporaine.
L’initiative cartonera est née avec Eloisa Cartonera en Argentine, avec sa volonté de diffuser la culture dans tout les espaces. En Équateur, ce mouvement arrive en 2004 lorsque Victor Vivos revient du Pérou après avoir découvert l’initiative de Sarita Cartonera à Lima. Il va fondé Matapalo Cartonera à Riobamba au Sud de Quito. Elle a été la première cartonera que le territoire et elle est vue comme une des pionnières en Équateur. Ensuite on retrouve la cartonera Murciélago Kartonera à Quito qui est la seule de la capitale, et qui est considérée comme une des cartoneras les plus importante en Équateur. On retrouve ensuite des cartoneras à Guayaquil comme Dadaif et Camareta, puis à Cuenca avec Ninacuro.
La distribution du livre par des circuits alternatifs fait que le mouvement cartonera a une portée politique. Le mode d’édition alternative du livre permet de rapprocher et de permettre des échanges de pensée et d’opinion.
Dadaif Cartonera
Dadaif Cartonera est une maison d’édition autogérée, fondée en 2011 à Guayaquil en Équateur par un groupe d’étudiant littéraire et un collectif de dessin qui s’appellait Dadaif, ensemble ils font former la Cartonera du même nom, Dadaif Cartonera. Cette cartonera est née de la nécessité collective de produire des livres et de la littérature contemporaine au plus bas prix, et dans des matières recyclables. Selon un article de 2018, Steph Apolo, Azael Álvarez y Marcos Negrete faisaient partie de la gestion de Dadaif Cartonera.
Sur le site de Dadaif Cartonera, qui est inactif depuis 2015, on peut trouver leur manifeste qui dénonce l’économie du livre et des grandes éditions. Cependant, ils restent très actifs sur les réseaux sociaux tels que Facebook où ils diffusent leurs ateliers de créations et d’éditions. Dadaif Cartonera organise une fois par mois à peu près des ateliers d’autoédition, et de création. Ils organisent aussi des tables rondes afin de discuter du mouvement cartonera et de la littérature. Ils utilisent, comme ils le précisent dans leur manifeste, des matériaux recyclés pour faire les couvertures mais aussi des designs de pointe, qui font l’originalité de leurs différentes collections. Les couvertures sont faites en cartons recyclés pour la plupart, puisque ce sont des matériaux faciles à trouver. En 2018, Dadaif Cartonera avait publié au total 17 ouvrages avec des couvertures faites en cartons recyclés et avec des designs faits mains. On peut retrouver des extraits de ces textes sur leur blog.
Dadaif cartonera a créé différentes collections d’édition en fonction des thématiques des textes. Chacune des collections portent un nom relatif au mouvement Dadaïste. Cette cartonera travaille et édite beaucoup de texte et d’ouvrage de poésie.
Hommage au dadaïsme
Cette cartonera tire son nom du mouvement Dada. Le Dada ou Dadaïsme est né à Zurich en Allemagne en 1916 pendant la Première Guerre Mondiale. Sa mission principale était de réagir et de lutter contre les visions d’horreur de la Première Guerre Mondiale en abordant un art plus léger et en rappelant que la vie continuait à côté de la guerre.
C’est au Cabaret Voltaire que va apparaître pour la première fois ce mouvement intellectuel et artistique. Il sera vu comme un lieu de liberté pour les intellectuels et artistes durant la Première Guerre Mondiale. Le mouvement Dada est caractérisé par sa spontanéité de création, et va peu à peu s’étendre en Allemagne et en Europe.Le nom a été choisi car il est universel, il peut se prononcer et se comprendre dans la majorité des langues parlées. Il y avait donc une volonté à que ce mouvement s’étende à l’international.
Le Dadaïsme a fait émerger de nombreux artistes comme Marcel Duchamp par exemple. Il choisira de s’exiler aux États-Unis dans les années 1910 où il commencera sa carrière et créera le concept du Ready-Made, qui va avoir une large influence sur les artistes du Pop Art. Il s’agit de la technique qui consiste à sélectionner un objet du quotidien, en dehors du paradigme de l’œuvre d’art, et à l’élever comme tel. Il rentrera en France en 1917.
Le Ready-Made le plus connu du Duchamp est Fontaine, qu’il tente d’exposer en 1917. Cet urinoir, banal en apparence, cause bien des remous dans le monde des arts, ouvrant à nouveau le débat sur le rôle de l’artiste et la nature d’une œuvre d’art.
Le Ready-Made consiste à transformer un objet usuel en oeuvre d’art, en le plaçant hors contexte, lui conférant ainsi un statut artistique.
On peut retrouver par exemple sa célèbre œuvre la « Fontaine » faite avec un urinoir en 1917. Ces œuvres seront dans un premier temps très critiquées puisque le public ne sera pas réceptive à ce genre d’art pour l’époque.
Collection Duchamp
La première collection que l’on retrouve est la COLECCIÓN DUCHAMP. Elle est destinée à la diffusion des poètes latino-américains qui renouvellent les frontières du réel, de l’expérimental. On peut y retrouver des poètes avant-gardistes, du Chili, de Cuba, du Mexique. Par exemple, on retrouve le poète Héctor Hernández Montecinos du Chili ; on retrouve aussi une chilienne qui offre un de ses ouvrages publiés et qui offre une décolonisation du soi, une écriture féminine et féministe. Cette collection fait donc hommage à l’artiste Duchamp, qui était aussi un avant-gardiste avec son art et ses sculptures expérimentales.
Collection Ready Made
Ensuite, la COLECCIÓN READY MADE est destinée aux anthologies de la littérature actuelle. C’est à la fois de la poésie et des textes narratifs qui cherchent à visibiliser les nouveaux discours. Dadaif Cartonera s’associe avec une cartonera de Cali Del Ahogado el Sombrero pour faire une première anthologie. Ils vont faire une sélection de texte sur le rêve. Puis une seconde anthologie sur la métaphore d’un corps qui sera aussi sous forme de poésie. C’est une anthologie qui regroupe des écris de huit poètes équatoriens.
Néanmoins, sur leur site, cette collection n’est pas encore fini. Il y a des anthologies qui ont été annulées, d’autre qui vont être mis en ligne. Mais puisque le site est inactif depuis quelques années, je ne sais pas où cela en est aujourd’hui.
Collection Naif
La COLECCIÓN NAIF est une recompilation de labyrinthe et dissections narratives du monde qui nous entoure. Elle regroupe les nouvelles descriptions de l’univers. On retrouve l’auteur Diana Varas Rogriguez qui travaille sur les personnes transgenre et leurs actions pour se légitimer comme citoyen.
Au premier abord, cette collection parait plus noire et satirique que les autres collections de cette cartonera. Elle dépend le quotidien, on peut y retrouver par exemple une autobiographie sous le nom de « Autobiografia fantasma ». Les textes, dans cette collection, parlent de choses rêvées, fantasmées, d’homme dévorant ses propres membres. Elle porte le nom de Naïf peut-être en rapport à toutes ces personnes qui fantasme et rêve d’une autre réalité.
Le Cabaret Voltaire
Le CABARET VOLTAIRE est destiné à la récupération de poèmes qui ont comme thématique l’oubli, c’est un hommage aux visionnaires du passé. On peut retrouver des récits de poèmes. C’est un recueil de poésie oublié, perdue. Par exemple, Augusto Munaro va faire un recueil de poème sur la vie de Santiago Dabove, un artiste qui a fait des récits fantastiques, sur le macabre et le surnaturel. Le cabaret voltaire étant le lieu où est né le mouvement dada, peut-être que cette collection se veut comme un hommage, un regroupement de tous les poètes du passé.
Une cartonera très active
Dadaif Cartonera s’inscrit donc dans la même lancée que le mouvement Dada, c’est à dire qu’ils prônent la liberté d’expression et le droit à chacun de pouvoir accéder à bas coût à la culture et à la littérature. Ils utilisent des objets du quotidien pour en faire des œuvres, des livres comme dans le cas de cette cartonera avec du carton recyclé pour faire la couverture des livres qu’ils éditent et qu’ils vendent.
Cette cartonera est participe et est confiée à de nombreuses ferias de livres et d’édition en Equateur, que ce soit à Guayaquil ou bien à Quito. On peut la retrouver exposant ses ouvrages devant la Casa de la Cultura à Guayaquil, dans le cadre de la feria Otro Orilla par exemple ou encore lors de la feria internationale du livre à Quito. Elle est aussi invité lors de rassemble thématique autour du livre dans des universités de la capitale.
Dadaif Cartonera a donc une volonté de créer un espace physique de diffusion et de partage grâce à l’autoédition de livre comme le faisait le Cabaret Voltaire et le Dadaïsme en Europe au moment de la Première Guerre Mondiale.
« Todo acto es un disparo de revólver cerebral” Tristan Tzara
Bibliographie :
Blog Dadaif Cartonera http://cartoneradadaif.blogspot.com
Facebook Dadaif Cartonera https://www.facebook.com/dadaif
AVILÉS ZAMBRANO Freddy, SÁNCHEZ GONZÁLEZ Mishell, « Editoriales cartoneras, una actividad cultural que sobrevive », El Universo, 2018.
« Las cartoneras son sus impulsadores », El Comercio, 2012.
Blog Guide Artistique, Qu’est-ce que le Dadaïsme ? https://www.guide-artistique.com/histoire-art/dadaisme/#origines
Le nom de ce projet de cartonera attire l’attention dans un premier temps. Tel que ColiineG indique dans son billet, le nom de cette maison d’édition est rélève du symbolisme du mouvement intellectuel et artistique du dadaïsme auquel cette maison d’édition cartonera est attaché et qui prônait le caractère universel de la création et de l’art… Néanmoins, nous pouvons nous interroger sur l’utilisation du symbole spécifique comme celui d’un mouvement intellectuel dans le but de populariser la littérature. Est-ce que cela correspond à une stratégie de promotion du caractère culturel plutôt qu’économique dans le cas de Dadaif Cartonera? Ou alors au but de rendre universel le projet des Cartoneras? A mon avis cela revient à la problématique autour de la valorisation du point de vue institutionnel du modèle cartoneras, qui peut paraître assez paradoxal. En ce qui concerne Dadaif Cartonera, cette valorisation s’appuie sur les organismes comme l’Université Nationale et La Casa de la Cultura. Dadaif a également publié des collections autour des thématiques évoquant des réalités sensibles au sein de la société équatorienne, comme dans le cas de la littérature autour de la question de la population transgenre. Il me semble que Dadaif cartonera se distingue pour cela du reste de Cartoneras qu’on a pu étudier.
Dans son blog on peut y trouver les liens d’autres cartoneras en Amérique Latine. Ils partagent ce modèle d’édition alternatif comme une forme de résistance à la disparition progressive de la lecture sous un format papier.
Merci Coline pour cet article complet qui nous permet de découvrir cette démarche artistique, culturelle et politique que propose la maison d’édition Dadaif cartonera, basée à Guayaquil en Équateur.
Comme tu le rappelles, la publication cartonera est une nouvelle modalité de diffusion de la littérature et des arts graphiques contemporains plus accessible qui vise à toucher un public souvent privé de cette culture pour des raisons de classe et d’argent. Cette volonté de toucher le grand public, Mariana Eva Pérez, l’autrice que j’ai étudiée dans mon article, la développe aussi en utilisant deux modes de publication pour le même contenu : un blog en ligne et un livre en format papier. Elle souhaite ainsi montrer aux lecteur.trices déjà averti.es sur la question de la défense des droits humains les nouvelles modalités d’écriture, mais surtout sensibiliser celles et ceux qui y sont moins accoutumé.es. Cette technique de la double édition, à la fois numérique et physique, qui permet de toucher un large public, la Dadaif cartonera en fait aussi usage puisqu’elle publie des extraits de textes publiés sous format cartonera dans son blog en ligne.
Par ailleurs, tu expliques que le nom de la cartonera fait référence au dadaïsme, un art léger qui questionne les frontières-mêmes de l’art pour lutter contre les violences de la 1ère Guerre Mondiale et rappeler que la vie continue. Ce processus fait écho à celui de M. E. Pérez qui intitule son texte « Diario de una princesa montonera » en hommage à ses parents Montoneros disparus pendant la dictature argentine, mais qui utilise un langage ironique, humoristique et plus léger (« los militontos », « los hijis », « el temita ») pour lutter contre la dramatisation et l’exagération du langage mémoriel habituel. Aussi, l’aspect spontané de la création dadaïste renvoie à la spontanéité d’écriture dans le blog puisque l’autrice publie des billets plus ou moins longs dès qu’elle le souhaite.
Enfin, tu précises que les créateurs de la cartonera l’ont structurée en collections (Duchamp, Ready Made, Naïf, Cabaret Voltaire) pour pouvoir publier les créations de différents types d’artistes et les organiser par thématiques. M. E. Pérez a aussi opté pour un système de catégorisation des billets, par année de publication cette fois, puis elle suit un ordre chronologique où les plus récents apparaissent dans le haut de la page. Elle a aussi créé des étiquettes générant une sous-catégorisation des articles selon les thèmes abordés.
Ainsi, à l’image de la Dadaif cartonera qui s’inscrit dans la lignée du mouvement Dada et du Cabaret Voltaire, qui met en exergue des artistes peu connus, prône la liberté d’expression et remet en question les normes de création, diffusion et publication, M. E. Pérez met en avant l’histoire de « desaparecidos » en revendiquant des néologismes, en utilisant un discours qui s’affranchit des codes de rédaction mémorielle traditionnels et en publiant à la fois un blog et un livre.