La délinquance et le terrorisme comme forme d’écriture littéraire

La Santa Muerte Cartonera, ville de Mexico, 2008-2010.

La maison d’édition Santa Muerte Cartonera a été fondée dans la ville de Mexico en 2008 par deux poètes : le chilien Héctor Hernández Montecinos et le mexicain Yaxkin Melchy.

C’est la deuxième Cartonera à voir le jour au Mexique après la Cartonera de Cuernavaca née la même année dans un contexte de conservatisme politique et d’explosion des maisons d’édition Cartonera dans le pays. Le pays compte aujourd’hui près d’une trentaine de Cartoneras. Elle fait ainsi partie de la première « génération » de cartoneras mexicaines et a inspiré les cartoneras mexicaines de la seconde génération notamment les Cartonera Kodama, Cohuiná, Tegus et Orquestra Eléctrica.

Elle est née des influences et des tendances poétiques latino-américaines contemporaines de Montecinos et des connaissances et expérimentations en reliure de Melchy au sein du projet La Red de los Poetas Salavajes après avoir été éditeur pour la revue Trifulca. Yaxkin Melchy a, par ailleurs, rédigé le manifeste de ce réseau de « poètes sauvages » faisant partie de la « generación 80 » (génération de poètes nés entre les années 1984 et 1990) revendiquant un renouvellement de la façon de faire de la littérature et critiquant l’égoïsme existant autour de la volonté de reconnaissance des écrivrain.e.s et des prix de littérature. Ils se revendiquaient comme étant « la nouvelle poésie mexicaine ».

Les deux poètes ont par la suite joué un rôle important dans l’essor du mouvement cartonero au Mexique mais aussi dans d’autres pays d’Amérique latine à travers l’organisation de réunions avec d’autres poètes mexicains, portoricains et salvadoriens pour échanger sur l’expérimentation éditoriale.

La période d’activité de la Santa Muerte est relativement courte puisqu’elle a arrêté de tirer des livres en 2010, soit seulement deux ans après sa création. Après cette date, Melchy et Montecinos ont ensuite créé une nouvelle maison d’édition Cartonera d’un style différent mais tout aussi subversif : 2.0.1.2 Editorial, décrit comme un « projet artisanal urbain ».

Il est intéressant de remarquer que pendant cette période d’émergence des premières Cartoneras dans le monde, la plupart d’entre elles avait tendance à porter des noms de femmes, de saintes populaires ou encore de noms genrés au féminin : la Santa Muerte s’est ainsi intégrée dans cette tradition avant que la génération suivante ne brise cette coutume pour donner des noms masculins à leurs maisons d’édition. 

Projet et ligne éditoriale

Les revendications et volontés des fondateurs de la Santa Muerte Cartonera étaient clairement exprimés sur le blog de la maison d’édition existant encore aujourd’hui bien qu’il n’ait pas été mis à jour depuis sa fermeture : leur objectif était avant tout de publier des livres en tant que communauté informelle d’éditeurs et de les vendre à bas prix comme forme de protestation contre les grands éditeurs internationaux qui monopolisent le marché du livre. La Santa Muerte C. avait ainsi pour objectif de rejoindre et consolider le réseau de maisons d’édition alternatives grandissant pour former un contre-pouvoir à ces grands éditeurs internationaux. Elle se voulait ainsi être une maison d’édition subversive et dissidente. En outre, tout comme les autres cartonera dans le monde, la maison d’édition mexicaine produisait ses livres à partir de carton recyclé racheté à des vendeurs de rue.

Ils revendiquaient également la lecture comme forme « d’action sociale » et réclamaient la circulation des supports littéraires. Ils avaient aussi la volonté de déhiérarchiser et de collectiviser le travail d’édition du livre en plus de désacraliser le livre mais aussi de croiser la littérature avec d’autres formes d’art. Pour cela, ils ont aussi organisé des ateliers pour les enfants et pour les jeunes afin qu’ils puissent participer à la réalisation des couvertures de livre. Ils ont aussi mis en place des laboratoires de création poétique dont le but était de faire ressortir des tensions entre la littérature et le spectacle pour leur permettre de repenser le travail poétique.

A l’image de la cartonera mexicaine Cohuiná, la ligne éditoriale de la maison accordait une grande importance à la poésie. Elle a en effet publié trois collections et treize titres différents : une collection de poésie (regroupant dix titres), une collection en prose (avec deux titres) et enfin une collection publiant un essai. Leur poésie était expérimentale, comme l’écrivent les deux fondateurs dans un manifeste présentant le projet sur leur blog : « on recherche une poésie qui prend des risques, des écritures plus expérimentales, des écrivains qui sachent casser les codes », puis on lit plus loin : « on publie de la littérature et ses dérivés hybrides et sauvages », revendication qui a également été reprise dans le manifeste de la maison d’édition 2.0.1.2 Editorial. Par ailleurs, les principaux thèmes qui sont traités dans l’ensemble d’ouvrages sont l’amour, l’argent, la santé, la chance, la curiosité, la haine, la jalousie et la vengeance.

Cependant, à l’inverse de la cartonera Cohuiná où les noms des auteurs ne sont pas cités dans le but de mettre en avant la dimension collective de la création, toutes les publications de la Santa Muerta Cartonera sont signées et font mention d’une brève présentation de l’auteur.

Livres faits de carton recyclé.
Une marginalité revendiquée

Les deux poètes et leurs collaborateurs dans le projet artistiques sont partis de l’idée que la délinquance et le terrorisme sont une forme d’écriture littéraire.

Certains des collaborateurs étaient des anciens détenus de prison. Le fait de faire partie de la coopérative leur permettait de gagner en représentativité en exprimant des symboles carcéraux dans leur poésie. Cela a donc donné la parole à cette minorité et renforcé leur sentiment d’appartenance à la communauté carcérale après leur sortie de prison.

Un autre des slogans de la maison d’édition mexicaine était : “la literatura no morirá”, il faut y voir une métaphore du nom évocateur donné à la maison d’édition avec la symbolique forte de la figure de la Santa Muerte au Mexique. En effet, le choix du nom Santa Muerte, fait référence à une icône populaire, une sainte non reconnue par l’Eglise et qui est patronne des marginalisés tout comme le nom donné à la maison d’édition Sarita Cartonera née à Lima en 2004 dont la Santa Muerte Cartonera s’est inspirée.

La Sarita Cartonera a été la troisième Cartonera à naître sur le sous-continent et son nom lui a été donnée en référence à l’icône populaire péruvienne la Sarita Colonia, également patronne des marginalisés au Pérou. Cependant, à la différence de la Santa Muerte, la Sarita Cartonera a plus gagné en renommée, a fait l’objet de plusieurs titres des journaux nationaux et revues de presse et a également réussi à déposer des exemplaires des ouvrages qu’elle a publié à la Bibliothèque Nationale du Pérou. Malgré la similarité de leurs lignes éditoriales, la maison d’édition péruvienne travaille en lien avec des institutions publiques, elle est également financée et possède le soutien de la municipalité de Lima, ce qui n’était pas le cas de la maison d’édition mexicaine qui se voulait être totalement indépendante. Cependant, la Santa Muerte C., n’ayant pas fait l’objet d’études précédentes à son sujet ni de revendications précises quant à ses modes de financement sur son blog, nous ne possédons pas d’informations sur comment fonctionnait l’achat du carton pour la confection des livres, la fixation du prix des ouvrages, ni sur la confection des livres en elle-même et le fonctionnement interne entre les membres de la communauté.

La Santa Muerte Cartonera se présente donc comme une forme de littérature rebelle notamment par rapport au choix de son titre et à ses connotations religieuses, politiques et sociales à contre-courant.

Icône et symbolique de la Santa Muerte au Mexique

El paganismo y el sincretismo como la metáfora del campo literario que nos interesa ”.

Icône de la Santa Muerte

La Santa Muerte, est un personnage du folklore d’Amérique Latine d’origine syncrétique puisqu’elle naît du syncrétisme entre les cultes des morts maya, aztèque et ceux de l’Eglise catholique. Elle personnifie la mort comme la grande faucheuse dans les folklores européens mais, à l’inverse, elle est associée à des notions positives comme la guérison ou la protection. L’Église catholique condamne sa vénération en la considérant comme diabolique.

Elle serait principalement adorée et vénérée par les personnes qui mettent quotidiennement leur vie en danger, elle a donc une symbolique liée à un environnement de marginalisation sociale, de pauvreté et de délinquance.

La Santa Muerte es una forma indócil de fe mexicana, en la cual, según algunos, son delincuentes los más fieles devotos de ella. Amor, dinero, salud, suerte, al igual que odios, intrigas, celos, venganzas son los temas que la Santa Muerte trata día y noche de parte de sus ilegales fieles que ven en ella, aunque no parezca, a un ángel representando el triunfo y la utopía del mañana.

Pour aller plus loin

https://culpinak.blogspot.com/2009/02/santa-muerte-cartonera-anuncia-libro-de.html

https://aureliomexa.wordpress.com/2014/04/05/las-reglas-del-juego-editoriales-cartoneras-en-mexico/

https://www.cultura.gob.mx/estados/mar09/25_nuev02.html

https://editorialultramarina.com/2012/04/18/la-explosion-de-las-editoriales-cartoneras/

https://fr.wikipedia.org/wiki/Santa_Muerte

https://yerbamalacartonera.blogspot.com/2009/04/literatura-humilde-pero-rebelde.html

http://poetica-arbitraria.blogspot.com/2009/01/santa-muerte-cartonera-la-literatura-no.html

http://santamuertecartonera.blogspot.com/

https://blogs.univ-tlse2.fr/arts-innovation-amerique-latine/2019/03/17/production-litteraire-en-langue-nahuatl-par-la-cartonera-cuernavaca/http://www.cervantesvirtual.com/obra/santa-muerte-cartonera-2008-2010-semblanza-788526/