Dans un pays où la crise économique, la polarisation politique et les tabous sociaux règnent, la lutte féministe semble être en arrière-plan des priorités des Vénézuéliens. La Constitution de 1999 se démarquait en tant que cadre juridique ayant pour but de visibiliser, protéger et honorer les femmes et leur participation politique. Cependant, 20 ans plus tard, le Venezuela reste un pays où les problématiques dont l’accès restreint aux contraceptifs, l’IVG clandestine, la violence conjugale et le machisme sont à l’ordre du jour, quoique la législation dicte. Certes, diverses initiatives ont été créés et suivies par le gouvernement dans le cadre de l’idéologie de Hugo Chávez, « le président féministe » pendant que d’autres ont surgit à l’écart du régime, indépendantes de la scène politique. Mais, aujourd’hui…
La réalité du pays et de ses femmes sont-elles reflétées dans la production médiatique vénézuélienne disponible en ligne ?
Le spectre politique se répand-il dans le champ médiatique ?
Les cybermédia ayant une perspective de genre sont-ils soumis à la censure gouvernementale ?
Parmi le peu de médias vénézuéliens ciblés en tant que féministes, il y a des journaux numériques soutenant ouvertement le gouvernement, comme Noticias d’mujeres ou des blogs de nature indépendante comme Onda feminista. Ainsi, la dualité politique du pays peut être aussi trouvée dans la cyberculture de genre, ce qui conditionne le contenu, l’audience et la diffusion.
Noticias d’mujeres
D’une part, Noticias d’mujeres surgit comme un média communautaire et alternatif féministe, fondateur du collectif de communication populaire AMEBLOQ sous l’édition de Carmen Hernández.
Sa forme et organisation renvoient à un journal physique (12 pages), donc sa mise en ligne semble être une démarche de numérisation soit pour des raisons liées à la crise, soit en réponse aux demandes de l’ère numérique. Pourtant, Noticias d’mujeres est peu accessible, car seulement 30 numéros (sur 126) sont présents en format PDF sur le site web du ministère d’information et communication, faute d’avoir un nom de domaine propre. Ainsi, certains numéros renvoient à des pages incomplètes ou des erreurs. Tout cela pourrait décourager l’audience à poursuivre une lecture régulière.
Par ailleurs, avant novembre 2020, sur la page de couverture, ses éditions montraient un prix symbolique de 1 Bolívar (BVF). Toutefois, cette demande de rémunération mène à poser la question de la provenance des fonds servant à maintenir sa circulation. Mis à part le fait qu’il est un média militant, ouvertement chavista et en faveur du gouvernement, il y a des espaces consacrées à la propagande électorale ainsi qu’aux services publics gouvernementaux.
Il s’agit d’une publication mensuelle, mais sa diffusion en ligne est très irrégulière. On constate des manques importants dans les années 2012-2013, puis de 2016 à 2020. En revanche, en 2014 et 2015, la quasi-totalité des numéros a été mise en ligne. Cela rappelle les périodes électorales où le gouvernement se serait servi de cette plateforme pour de la propagande ou bien aurait eu besoin de renforcer des liens afin de regagner l’appui des femmes lors de moments de faible participation.
De la même manière, la page Facebook de Noticias d’Mujeres avec ses 107 abonnées semble abandonnée depuis juin 2017, de même que leur blog. Cela évoque les écarts entre les numéros disponibles en ligne sur la page dédiée aux médias communautaires. De plus, elle est dédiée principalement aux propagandes du gouvernement, avec un nombre de publications limité faisant référence aux femmes comme Eva Perón, Dilma Roussef, Juana « La Avanzadora ». Enfin, bien que la liste des collaboratrices soit en deuxième page, la plupart des articles du journal ne sont pas signés par les journalistes, ce qui rend impossible de savoir qui sont les auteur.e.s et leurs thématiques récurrentes.
Onda feminista
En outre, Onda feminista a une ligne éditoriale très différente. Il s’agit d’un blog fondé par Mariana González en 2016, accessible via leur propre site web où l’information se classifie à travers des # hashtags.
Une de ses particularités est son format collaboratif suma tu voz qui permet à des féministes de toute l’Amérique Latine et d’Espagne de rejoindre leur réseau de volontaires ayant pour but d’adresser, sous différents angles, les problèmes d’équité de genre présents dans la région. Il est également possible d’envoyer des articles individuels pour la plateforme, en tant qu’auteur.e volontaire. Son contenu varié cherche à rendre visible les problématiques régionales ainsi que les réussites des luttes féministes collectives et des femmes entrepreneuses (#iniciativas) dans ces pays hispanophones.
Depuis ses débuts, il a touché une audience d’environ 300.000 lecteur.ice.s, avec une moyenne autour de 60.000 par an. Leurs contenus sont très régulièrement actualisés sur les réseaux sociaux Facebook, Instagram et Twitter, qui cumulent à eux trois plus de 30.000 abonnés. Ainsi, Onda feminista rend les contenus plus accessibles, accroche le lecteur.ice et consolide un réseau d’usagers.
En ce qui concerne le financement du média, il n’y a pas d’information sur la provenance des fonds autre que pour Mariana González, pour qui il s’agit d’une initiative personnelle individuelle pro bono auquel elle consacre son temps libre. D’ailleurs, Onda Feminista s’auto-proclame non-lucratif et on ne trouve pas de publicité sur leur site. Contrairement à Noticias d’Mujeres, dans Onda feminista l’auteur.e de chaque article est dûment nommé à côté de la date de publication et a même un espace en bas de page pour plus d’informations.
En tant que Vénézuélienne, Mariana González publie des nouvelles sur la situation dans son pays d’origine, ce qui permet de pointer du doigt la condition féminine en tant que problématique passée sous silence en raison de la crise économique, des idéologies politiques ou des normes sociales établies. De la même manière, le blog, se construisant en ligne, s’écarte du contexte tendu des médias au Venezuela et lui permet une certaine indépendance, ce qui paradoxalement le positionne par défaut en tant qu’opposant au chavismo.
Ces deux médias illustrent la forte polarisation politique du Venezuela et comment elle se répercute dans tous les domaines, notamment celui des médias dits alternatifs et indépendants visant une perspective de genre. Dans un contexte si politisé…
Est-il possible de construire ou de maintenir une certaine indépendance des deux extrêmes ?
La stratégie de Noticias d’mujeres est de s’adapter aux exigences du gouvernement vénézuélien et de publier sous l’étendard de l’idéologie chavista, même si cela implique parfois de laisser de côté l’angle féministe, comme lors des élections, ou bien d’adapter la définition de féminisme pour qu’elle colle avec les attentes de la « Révolution Bolivarienne ». Celle de Onda feminista implique d’écrire depuis l’étranger et d’essayer de prendre une position critique envers ledit féminisme. Dans les deux cas, qu’il s’agisse de publier au Venezuela en prenant ouvertement position ou de le faire en ligne depuis l’étranger, la polarisation politique au Venezuela limite la visibilité de la situation des femmes paupérisées dont la priorité est de survivre jour après jour et qui ne participent activement ni à la vie politique ni à la lutte féministe. De plus, les médias qui disent plaider la cause des femmes tendent à sous-représenter des groupes touchés par l’intersectionnalité (mères célibataires, migrantes, afro descendantes, indigènes, LGBTQ, entre autres).
Enfin, dans un pays en crise comme le Venezuela, les problématiques de genre passent souvent au second plan et les femmes encourent généralement plus de risques que les hommes, d’où l’importance d’un travail de mise en valeur au niveau national et international de la part de ces cybermédias, quelle que soit leur orientation politique.
Pour en savoir plus:
- Femmes au Venezuela- Prodavinci, Villalobos (2018), CIJ, IIDH, Peña (2010)
- Chávez Feminista-IPASME, Carosio (2014)
- Médias communautaires-Porto (2019)
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