Le Fanzine Butch publié sur le webzine He!Ho!Zine! en 2016, donne une représentation de ce qu’est la vie d’une Butch dans le monde hétéronormé.
L’origine du terme Butch
Le terme Butch apparaît dans les années 40 aux états-Unis pour désigner les lesbiennes masculines et fait partie du duo Butch/Fem, couple lesbien dont l’une est féminine et l’autre masculine. Cet intitulé peut faire référence aux garçonnes des années 20 en France. Les Butchs permettent de rendre visibile l’identité lesbienne mais souffrent d’autant plus de discrimination et de stigmatisation. Cette discrimination se retrouve dès l’adolescence, avec les “garçons-manqués” et les style Tomboy. Jack Halberstram, professeur d’anglais et d’études de genre à l’Université de New York Columbia, étudie la notion de “Tomboyism” et de masculinité chez les femmes.
Le “Tomboyisme” de l’anglais “Tomboyism” est souvent vu comme un signe d’indépendance et de mode vie généralement naturel chez les garçons et apprécié chez les filles si elle garde une identité de fille. Mais à l’adolescence et en grandissant, le Tomboyisme sera révoqué, souvent par la famille et l’entourage et la jeune fille devra abandonner ces “manières” et tendre à devenir une femme féminine. Halberstam montre que l’adolescence pour une fille est une période de répression et de restriction au niveau de son développement personnel. Ainsi la jeune fille devra être conforme à ce que la société attend d’elle comme devenir. Halberstam indique également qu’il est plus simple pour une jeune fille tomboy et/ou lesbienne de s’affirmer et de s’assumer dès lors qu’elle est au courant de l’existence d’une communauté lesbienne ou qu’elle a dans son entourage un exemple de femme masculine et/ou lesbienne.
Halberstam explique avoir appris le mot Butch dans sa vingtaine, terme qui correspondait beaucoup mieux à son identité. Ainsi à travers la dénomination “Butch”, c’est toute une partie de femme, de lesbiennes, qui se retrouvent sous ce terme, féminin, qui n’occulte en rien leur féminité et qui met en avant la fluidité de leur genre et leur apparence “masculine”. Malgré cela, les Butchs sont sans cesse remises en question au sujet de leur masculinité et de leur apparence “d’homme”.
Tortilleras
En Amérique Latine, le mot relatif au mot lesbienne serait Tortilleras. Tortillera est l’un des mots d’argot les plus utilisés en Espagne et en Amérique latine pour appeler les femmes homosexuelles. Son origine est peut-être l’une des plus anciennes et des plus controversées, d’autant que tortillera est un mot qui a voyagé d’un côté de l’Atlantique à l’autre, conservant son jargon significatif et brouillant son origine et son histoire.
L’origine la plus probable du mot tortillera est torticera, un mot dérivé du latin tortus, avec le sens de tordu, borgne, etc., comme le terme français «tortiller» qui signifie tordre.
La considération sociale de l’homosexualité comme quelque chose de tordu ou de déviant pourrait être à l’origine de cette expression, comme on peut la trouver de la même manière dans le terme anglo-saxon «queer» qui signifie tordu et qui vient du terme allemand «que» avec le même sens.
Tortillera constitue donc un terme essentiel dans l’explication de l’homosexualité à travers les mots, car il se rattache à l’une des bases de l’homophobie, la conception de l’homosexualité comme quelque chose de tordu ou de déviant, aussi parce que c’est un terme itinérant qui a traversé l’Atlántico. C’est aussi la version hispanique du terme Queer.
Concernant l’appellation Butch, le dictionnaire Moscas de Colores traduirait le terme par Buchonas, Cette origine pourrait être un autre exemple du phénomène de l’anglais présent dans l’espagnol du Mexique, dans lequel des mots ou expressions anglais sont incorporés dans le discours habituel, les magazines et la publicité.
Une réponse à la féminité oppressante et stigmatisante
Dans Au-delà des apparences. Système de genre et mises en scène des corps lesbiens Céline Perrin et Natacha Chetcuti se questionnent sur comment les conceptions identitaires lesbiennes sont structurées par le genre, concept défini ici à la fois comme système de rapports sociaux hiérarchisés et comme système de représentations traduisant ce rapport.
D’après des entretiens réalisés par Céline Perrin et Natacha Chetcuti au Québec, on retrouve une envie de la part des lesbiennes d’annuler ces stéréotypes et de ne pas insister sur des caractères physiques et vestimentaires qui peuvent paraître trop superficiel pour détéminer un quelconque malaise du masculin chez la lesbienne. Il y a une différence entre “l’apparence” et “l’être”. Les deux auteures s’interrogent enfin sur l’origine de cette stigmatisation chez les lesbiennes. Au fil des entretiens, on voit que le terme de Butch ou de camionneuse n’est pas fixe en fonction de l’interlocutrice : “si pour Diane (29 ans, Suisse), une camionneuse ce peut être « une fille les cheveux rasés avec des piercing aux seins », pour Romaine (33 ans, France) il s’agit de femmes portant « costume trois-pièces », et pour Gabrielle (44 ans, Suisse) « baskets, jeans, chemise à carreaux, pull blanc, là [elle mime un col rond, au ras du cou], tout le temps .»
Elles distinguent également une dichotomie des discours, en fait les deux extrêmes seraient rejetés. Ainsi l’ultra-masculinité et l’ultra-féminité ne font pas bon ménage avec la communauté lesbienne.
De ces entretiens sur la masculinité on retrouve donc quatre grands axes de performativité de la masculinité chez les lesbiennes :
- La masculinité Pragmatique : afin d’être “égale” aux hommes, de se faire une place dans le système, de ne pas se laisser faire.
- La masculinité comme protection : afin d’éviter d’attirer le regard masculin et les avances des hommes, rejeter l’attirance qu’un homme pourrait avoir si elle était habillée en “femme”.
- La masculinité comme alternative au féminin: afin de ne pas subir les stéréotypes fait aux femmes en général : “Le vêtement masculin permet une neutralisation ou une résistance à ce que l’hétérosocialité désigne comme « l’être femme »”
- La masculinité comme code identitaire : afin d’être reconnue lesbienne au sein de la communauté et/ou dans certains lieux.
Un manque de représentation dans les médias
Comme indiqué plus haut, les lesbiennes manquent de représentations, que ce soit dans leur environnement, dans leur éducation, dans leur enfance, mais encore dans les médias.
Aujourd’hui on compte près de 40 magazines féminins enregistrés à l’Office de justification de la diffusion. Les magazines de presse lesbienne comme Jeanne ou Well well well doivent s’occuper de leur distribution et trouver des collaborateurs pour diffuser leur magazine, les librairies féministes sont souvent le point de vente habituel.
La presse féministe reste la presse la plus accessible dans énormément de point de vente, mais elle exclu les femmes minoritaires dans ses représentations.
D’après une étude de Claveau Maryline, les femmes exclues par la presse féminine sont : “les lesbiennes, les femmes de couleur et celles qui ont un surplus de poids”.
Les lesbiennes sont souvent stigmatisées et stéréotypées dans la presse féminine.
Dans son mémoire de séminaire, Entre hétéronormativité et hétérosexualisation. Etude comparative des presses « féminines » et « lesbiennes », Julie Araujo met en avant les remarques faites au sujet des lesbiennes vis à vis de leur sexualité qui “deviennent lesbiennes” et non pas qui sont nées ainsi. Julie Araujo étudie un article du magazine français Femme Actuelles qui dénonce que les femmes deviendraient lesbiennes par déception de leurs expériences avec des hommes.
Ainsi les lesbiennes ne peuvent exister sans être comparée à l’homme. Leur sexualité résulte de leurs expériences hétérosexuelles passées.
En additionnant les différents problèmes que vivent les lesbiennes, que ce soit dans leur enfance, ou dans leur vie, avec un manque de représentation dans les médias et la société en général et une stigmatisation accrue, le Fanzine devient une solution alternative afin d’exister et de se faire entendre.
Le Fanzine pour se réapproprier son identité
En 2014, Leslie Feinberg, Militant·e transgenre, communiste révolutionnaire, juif/ve laïc et activiste anti-raciste, Leslie Feinberg, décède, en laissant une nouvelle version de son livre Stone Butch Blues publié en 1993.
En 2015, Barbie Turixx, site d’information lesbien et féministe, publie un article intitulé : “Les butchs sont-elles en voie de disparition ?”
On retrouve plusieurs hypothèses à la “disparition” des butchs :
- Il est plus facile aujourd’hui d’effectuer une transition FtoM
- La communauté lesbienne s’affranchit de la binarité butch/fem
- L’identité butch est perçue négativement
Dans le fanzine, on retrouve des dessins qui reprennent les stéréotypes sur les Butchs, des histoires illustrées et des illustrations qui décrivent l’esthétiques Butch, des essais, et un extrait de “Mémoire Lesbiennes” de Line Chamberland
Le ton utilisé est plutôt humoristique en renversant les stigmas et en créant des histoires drôles.
On retrouve ici un besoin de mise en lumière des mémoires lesbiennes et de la souffrance que certaines ont pu vivre à cause de la pression sociale et des stigmatisations.
Mode de distribution du Fanzine
Le Fanzine s’inscrit dans les médias du mouvement punk des années 70 il est réalisé selon la manière du Do it Yourself et n’est soumis à aucun impératifs de ventes. Il est souvent militant dans le champ culturel avec une périodicité aléatoire et une durée de vie courte.
Les fanzines sont consacrés le plus souvent à la musique rock, au cinéma, aux séries télévisées, à la politique ou à la littérature populaire
Avec l’essor d’internet, les modes de diffusion du Fanzine ont évolué. Internet offre un nouveau moyen pour collaborer, les logiciels de graphismes permettent de numériser les dessins, de les modifier, de proposer une mise en page originale. Pour la diffusion, le Fanzine peut circuler sur les réseaux sociaux, via des newsletter, des mails.
Le Fanzine Butch est publié sur le site wordpress du webzine He Ho zine et est disponible au téléchargement gratuitement. Rizzo a crée le site hehozines.wordpress.com pour diffuser ses fanzines et ceux qui lui plaisaient et montrer autre chose que le fanzinat hétérocismasculin sur-représenté.
Le Fanzine a été distribué en papier à la mutinerie les 21/22/23 octobre. Et de la main à la main au colloque des archives lesbiennes aux mêmes dates.
Il était également disponible en papier lors des soirées de lancement : Toulouse, Paris, Lyon, Saint- Etienne, Grenoble, au Baragouinage à Bordeaux. Le Fanzine a également une page Facebook . La soirée de lancement du Fanzine s’est faite à Toulouse le 28 octobre 2016, les créateurs du Fanzine ont ainsi fait une tournée dans plusieurs lieux lesbiennes en France afin de faire connaître le Fanzine.
Retrouvez le Fanzine ici
Grâce à ton billet Lucie j’ai appris et compris de nombreux termes (Butch, le duo Butch/Fem, Tomboy et Tomboyisme, Tortillera, etc.) qui m’ont permis d’élargir ma prise de conscience concernant la complexité de la situation pour les nombreuses personnes qui ne se retrouvent pas dans le schéma hétérosexuel et hétéronormé.
D’abord, j’ai découvert le véritable sens du terme « Butch » que j’avais dû apercevoir sur la couverture d’un livre ou d’un carnet et que je pensais être un nom de magazine. Il s’agit d’un terme aux sonorités percutantes pour désigner les lesbiennes masculines qui, comme tu l’expliques, « permettent de rendre visible l’identité lesbienne mais souffrent d’autant plus de discrimination et de stigmatisation ».
Ensuite, dans ton écrit on voit bien l’importance du processus de resignification qui permet, comme l’indique Marie-Anne Paveau, de récupérer « des contenus sémiotiques dévalorisants ou offensants dans le but d’en inverser la valeur et d’en récupérer les signes en tant que symboles de fierté ». En effet, le terme Butch, qui est à l’origine un terme dénigrant pour désigner les lesbiennes masculines, a été récupéré comme nom de la catégorie identitaire des femmes qui ne correspondent pas aux stéréotypes de la femme hétérosexuelle et féminine. En l’occurrence, le Fanzine que tu présentes a même mis en avant le terme dans son titre : « Zinebutch ». Ce processus de resignification des Butch rappelle celui opéré par les Suffragettes au XIXème siècle lors de leurs manifestations pour obtenir le droit de vote féminin, ainsi que celui des Sluts (« putes », « salopes ») qui ont repris l’insulte qu’on leur faisait comme caractéristique identitaire revendiquée principalement lors des SlutWalks (Marches des salopes) qui sont apparues en 2011 pour dénoncer les violences subies, revendiquer leurs droits et lutter contre la culture du viol.
Par ailleurs, tes explications complétées par les illustrations issues du Fanzine Zinebutch – et en particulier celle de la partie « Une réponse à la féminité oppressante et stigmatisante » – permettent de prendre conscience de l’inconfort de la situation de ces femmes qui sont en permanence stigmatisées pour leur apparence et pour leur être. Le contenu de ton article, puisqu’il met en avant une catégorie de personnes qui transgressent les normes de genre et de comportements sociétaux – les Butch –, incite aussi à réfléchir sur notre propre rapport à la société actuelle qui propose un schéma stigmatisant et à questionner la construction de cette même société « hétéropatriarcale » – dixit Zinebutch.
Enfin, outre le mot Butch j’ai mieux compris le sens et l’histoire du terme « Tortillera ». Cet éclairage me sera utile régulièrement étant donné qu’il s’agit d’un terme couramment utilisé dans les pays hispanophones pour désigner les femmes homosexuelles et plus largement les personnes ayant un comportement ‘tordu’ selon l’origine latine, ‘déviant’ par rapport à l’hétéronormativité ou ‘queer’ pour citer l’équivalent anglosaxon.
De manière plus anecdotique, j’ai aussi (re)découvert l’existence de nombreux néologismes et jeux de mots avec le suffixe -zine (Fanzine, webzine, He!Ho!Zine!) qui me donnent envie de chercher plus d’informations sur chacun d’entre eux.
Merci Lucie !