Mikeas Sánchez est une autrice mexicaine née à Tujsübajk dans le municipio de Chapultenango au Chiapas en 1980. Elle est d’origine Zoque et fait partie d’une des ethnies les plus anciennes en méso-amérique: les Olmèques. Elle est connue pour sa poésie écrite en Copainala (une variante de la langue zoque) et traduite en espagnol. Elle est aussi enseignante et directrice de la radio La voz de los vientos, plateforme qui donne une voix aux minorités ethniques du Mexique.
Diplômée en science de l’éducation de l’Universidad Juárez Autónoma de Tabasco, Sánchez se spécialise ensuite en didactique de la langue et littérature. Elle fait son master à l’université autonome de Barcelone. Durant cet échange, elle rencontre des personnes qui ont inspiré le caractère militant de sa poésie, notamment sur la condition des femmes issues de cultures minoritaires.
À partir de la littérature bilingue, l’autrice met en avant sa langue maternelle qui est de moins en moins parlée dans sa région. Mikeas Sánchez se décrit comme une autodidacte qui a appris sa langue native d’elle-même et non pas à travers un enseignement institutionnel. Le choix de traduire le zoque en espagnol permet la découverte de sa culture qui est non reconnue et non enseignée dans les écoles publiques mexicaines.
Ses œuvres ont ensuite été traduites en catalan, en italien, en allemand, en maya, en portugais et en anglais. On peut citer Maka mujsi tumä jama (en espagnol Y sabrás un día) publiée en 2006 ou encore Kobikyajubä’jaye publiée en 2013. Les œuvres de Mikeas Sánchez apparaissent dans des journaux, des magazines ou encore des anthologies comme celle de Los abismos de la palabra.
En 2004, elle reçoit un prix d’État « Pat O’tan » pour la poésie indigène. Elle est aussi reconnue à l’international pour sa littérature indigène, et en 2014 elle est nommée pour le prix Pushcart aux États-Unis.
Étant une autrice indigène, Sánchez fait face à de nombreux stéréotypes dont celui selon lequel les auteur.e.s indigènes doivent forcément écrire sur la nature, sur la vie ou encore sur la cosmogonie.
« à cette époque, je n’écrivais pas sur ce sujet parce que ce n’était pas né pour moi […] Et curieusement maintenant je le fais, mais parce que j’aime ça, parce que je le ressens.1 »
Krishna Naranjo Zavala, 2023, La poesía que siembra y canta en zoque: Una entrevista a Mikeas Sánchez
Puisque ses poèmes sont porteurs de voix des minorités ethniques et de genre, la poète utilise des plateformes numériques afin d’atteindre une plus grande visibilité. À travers une forme numérique et plus accessible de la littérature, l’autrice a la possibilité de s’exprimer sans contraintes. Cela lui permet d’atteindre des lecteurs s’identifiant à son récit, comme un tout nouveau public. Sanchez décrit d’ailleurs la poésie comme une manière de dire ce qu’elle pense, ressent et rêve. Selon elle, c’est synonyme de liberté et d’exploration du langage qui n’a pas d’étiquettes, qui est spontanée et qui permet d’exprimer divers sentiments.
Écrire pour se réconcilier avec son passé
En Zoque, « poésie » se traduit par « mot douloureux », c’est probablement pour cela que Sánchez utilise cet art afin de rappeler l’abominable passé subi par sa communauté.
Dans Meditación al nacimiento – poème 4, l’écrivaine relate les horreurs de la conquête espagnole et les violences commises contre sa communauté à travers un champ lexical déchirant. Elle accuse les colonisateurs de s’être servi de la religion comme excuse pour parvenir à leurs fins.
« Nous avons été outragés par la main d’un saint. »
Meditación al nacimiento – poème 6.
La manière dont le christianisme a été imposé est largement critiquée et rendue responsable de la mort physique et spirituelle.
Ce poème est une remise en question du droit à la vie ; est-ce que tous les êtres humains, mêmes sauvages, méritent de naître ? de vivre ?
Heureusement, la communauté zoque a su insérer ses croyances et pratiques dans la religion chrétienne ; ce qui a permis leur conservation jusqu’à nos jours.
La résistance pacifique basée sur la perpétuation des traditions continue d’être utilisée par les Zoques. Ils commencent cependant à manifester publiquement à travers le mouvement ZODEVITE2 pour lutter contre les projets extractifs d’entreprises privées étrangères présents dans leur région. C’est une manière pour eux de protéger le territoire qu’ils ont hérité de leurs ancêtres et de lutter contre un ennemi « ambitieux et sans scrupule qui se trouve à l’intérieur des communautés depuis plus de 500 ans et qui a également fait ses propres racines3 ».
Dans son poème Como ser un buen salvaje, la figure du grand-père évoquée est une allégorie de la communauté zoque dans son ensemble. Le titre du poème reprend le terme du « bon sauvage », reflétant le regard que les colons espagnols avaient sur les peuples autochtones. Sánchez se l’approprie et dénonce de façon ironique la « mission civilisatrice » des conquistadors espagnols.
Par exemple, le prénom du grand-père est une substitution adoptée dans ce processus d’assimilation sociale et religieuse. Il renvoie d’ailleurs à l’un des douze disciples du Christ ; l’apôtre Simon. Le passé préhispanique du grand-père est aussi mentionné dans le vers suivant « danzo frente al templo », qui fait probablement référence à des rites traditionnels religieux zoques.
Cela met en avant la force passée du personnage, comparée à celle d’un « Rayo Rojo », une force majeure et puissante comme celle d’un éclair, de la foudre ou même d’une force divine. Cette hypothèse semble se confirmer lorsqu’elle lui attribue le nagual du tigre ; un être mythologique des croyances mésoaméricaines à l’apparence humaine, divine et animale doté de pouvoirs sacrés.
Sánchez évoque une envie d’assimilation à la culture européenne de nombreux indigènes qui ont peu à peu délaissé leurs racines et leurs identités.
Le poème se termine avec une morale ; peu importe ce qu’une personne native peut faire pour s’assimiler à la culture, à la religion ou aux mœurs européennes, son identité indigène restera toujours présente même après le processus forcé d’assimilation ou l’acculturation délibérée.
Au travers de sa poésie, Mikeas Sánchez encourage la promotion et la transmission des traditions, des rites, de la langue et de la religion des cultures indigènes pour qu’elles ne s’effacent pas au cours du temps.
Lire la suite : Une voix de la culture Zoque à l’honneur : la poésie de Mikeas SánchezUn moyen de réflexion sur les enjeux actuels chez les minorités indigènes
Dans Mi virgen se llama soledad, elle regrette un passé où les enfants étaient encore innocents, remarquant que la société actuelle et ses vices leur ont ôté la capacité de rêver. Elle blâme cette époque où les jeunes ne donnent plus autant d’importance à la communauté qu’auparavant, préférant quitter leur municipalité pour de grandes villes.
Elle aborde le sujet des migrations du Mexique vers les États-Unis et ce qui en découle ; abandon d’enfants, morts, métissages…
En se conformant à la société moderne dans le but de fuir la pauvreté et la marginalisation, les migrants laissent derrière eux leurs terres, leur culture et leurs croyances ; échangeant ainsi leurs traditions au profit du progrès.
La poète a elle-même vécu cette expérience car elle est partie étudier à l’étranger. Avec du recul, elle accuse l’environnement dans lequel elle vivait de lui avoir inculqué cette obsession d’obtenir des biens matériels et de « devenir quelqu’un4 ».
Avec ces migrations, la communauté s’efface de jour en jour, connaissant probablement ses dernières heures.
Comme arme contre l’oubli et la perte, Sánchez utilise la poésie pour promouvoir sa culture ; elle écrit en langue zoque pour que la tradition orale survive dans le temps puis la traduit de façon à ce qu’elle traverse les frontières et soit connue de tous.
Elle est une des premières Zoques à écrire, ce qui fait d’elle une référence importante dans la communauté pour les prochaines générations à venir.
- Traductions : Lauren Voir. ↩︎
- Zoque en Defensa de la Vida y el Territorio. ↩︎
- Voces en Resistencia: Problemática Socioambiental y proyectos extractivistas en la zona zoque de Chiapas ↩︎
- La poesía que siembra y canta en zoque: Una entrevista a Mikeas Sánchez ↩︎
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