Le contexte argentin et l’IVG
En Amérique latine, seul trois états autorisent l’avortement sans conditions. En Argentine, qui est un pays très catholique, l’interruption volontaire de grossesse (IVG) n’était possible qu’en cas de danger pour la vie de la femme ou qu’en cas de viol et ce depuis 1921. Si l’IVG était pratiquée dans un autre cadre, le code pénal argentin punissait cet acte médical. Les femmes qui y avaient recours risquaient d’être emprisonnées pour une durée allant jusqu’à quatre ans. C’est dans ce contexte là que les avortements clandestins ont commencé à se rependre. On parle ici de pratiques bien plus risquées que l’IVG classique qui concernaient jusqu’à 500 000 femmes par an et conduisaient une grande partie d’entre elles à se faire hospitaliser ensuite.
Marea Verde, c’est le nom qui a été donné à un ensemble d’énormes manifestations (d’où le nom “marée”) féministes qui ont eu lieu à Buenos Aires en 2018. Ce mouvement est associé à la campagne “Campana nacional por el derecho al aborto legal, seguro y gratuito” qui a débuté en 2015 et qui se démarque par sa couleur verte. Des centaines de milliers de femmes de tout âge se sont réunies dans les rues pour manifester et se rencontrer et par-dessus tout réclamer leur droit à l’avortement sans conditions et sans être pénalisées. On les entend crier en coeur “Ahora que estamos juntas y ahora que si nos ven…Abajo el patriarcado, se va a caer, se va a caer.”
La première présentation du projet de loi afin de légaliser l’avortement en Argentine a été envoyée au Parlement le 28 mai 2007. Depuis ce jour, neuf présentations ont été faites et c’est la neuvième qui a été acceptée.
Le projet du Colectivo Manifiesto
Le Colectivo Manifiesto est un groupe d’activistes médiatiques composé principalement de photographes mais aussi de dessinateurs, de dessinatrices et de cinéastes qui résident et travaillent essentiellement à Córdoba en Argentine. Ce collectif a été fondé fin 2013 et a pour projet de visibiliser des faits qui sont passés sous silence à travers un visuel impactant de qualité. Le groupe explique sur leur site que “Queremos romper la soledad del artista y ser una voz colectiva y rebelde.”
Ces activistes sont Matías Arriola Silva, Ezequiel J. Luque, Martín Villarroel Borgna, Diana Segado, Fernando Facchin, Marcos Rostagno, Mar Sanchez Rial et Santiago Rocchietti.
Ils se déplacent d’évènement en évènement (manifestations étudiantes, luttes pour les terres, fêtes populaires des quartiers, manifestation pour la résistance contre multinationales, contre les menaces policières, etc.) pour immortaliser chaque instant grâce à leurs appareils.
Depuis 2016, une partie des membres de cette fondation se sont tournés vers La Tinta qui prend en charge leur production quotidienne.
La Tinta et les photographies du Colectivo Manifiesto
La Tinta est un moyen de communication indépendant et alternatif composé d’une dizaine de journalistes qui s’organisent à Córdoba pour transmettre des informations à travers un périodique. La Tinta a notamment publié un grand nombre d’articles en ligne sur la Marea Verde. Les photographies qui servent à illustrer ces articles sont celles des membres du Colectivo Manifesto. Ce qui fait la richesse de leur travail, c’est leurs différents profils : “Venimos de campos muy diferentes como la literatura, la comunicación social, el diseño, el cine, la arquitectura y la fotografía, claro.” Ils ont tous des rôles essentiels au bon fonctionnement de leur projet.
Afin de relayer et de dénoncer à une plus grande échelle ce qu’il se passe en Argentine, la photographie est le moyen idéal. Elle permet de faire passer un message et de capturer des instants marquants qui aideraient, ceux qui ne sont pas présents, à savoir ce qu’il en est. C’est ce qu’explique les membres du Colectivo Manifiesto à travers cette citation : “Nos cuestionamos nuestro rol como fotógrafos y fotógrafas comprometidas con la realidad social y política. Buscamos comunicar desde este campo lo que nos toca vivir como latinoamericanos hoy, produciendo imágenes no solo de calidad, sino que digan e interpelen. La fotografía como herramienta para visibilizar la realidad que los constructores de relatos intentan ocultar, y sonando ese otro mundo posible.”
Au premier plan de cette photo nous pouvons distinguer une centaine de personnes, en l’occurrence des femmes, qui brandissent les foulards vert de la campagne nationale pour le droit à l’avortement légal, sûr et gratuit. Cette union donne l’effet d’une vague qui explique le nom du mouvement et qui dégage une certaine puissance. Cette vague est caractérisée par le nombre de femmes présentent, leur coordination mais également par le fait qu’elles ne laisseront rien les freiner.
Le fait de brandir ces foulards, les poings fermés, est un signe d’une lutte, d’une volonté de se faire entendre et dénoncer l’interdiction à l’IVG sans conditions.
Au second plan nous pouvons voir une grande bannière verte sur laquelle est inscrit “Aborto legal ya, ahora es cuando”. Cette phrase traduit clairement l’impatience de ces femmes qui pour la huitième fois ont essuyé un refus de la part du Parlement qui remettait constamment au lendemain leur demande de projet de loi.
L’effet de masse fait que de loin on ne distingue par chacune des manifestantes mais au premier plan on peut voir quelques visages qui prouvent que chacune d’entre elles, quelque soit leur nationalité, leur travail, leur statut social, leur âge est là pour la même cause. Chacune de ces femmes veut être maîtresse de son corps et si on s’approche un peu, chacune d’entre elles a une histoire.
Sur cette photographie nous pouvons distinguer 2 générations différentes de femmes qui luttent pour la même cause. Ici, en plus de l’union qui a été mise en valeur grâce à la photographie précédente, surgit également l’idée de rassemblement. Ces femmes qui, l’une au bras de l’autre, qui se connaissent ou non, se sont rassemblées dans les rues de Buenos Aires pour défendre leur droit.
Première chose qui nous frappe lorsqu’on regarde la photographie c’est l’affiche rose qui est au centre. Elle est bien plus petite que celle de la photographie précédente mais n’en est pas moins impactante. Elle met en valeur deux aspects très importants :
- le mouvement “Ni Una Menos” qui est le nom sous lequel sont désignées les manifestations, qui ont eu lieu entre le 3 juin 2015 et 2016 dans plusieurs pays d’Amérique latine dont l’Argentine, pour dénoncer les violences faites aux femmes et plus particulièrement les féminicides.
- le terme “abortos clandestinos” qui se rapporte aux actes médicaux illégaux auxquelles les femmes voulant avorter avaient recours. Sur les 500 000 avortements clandestins pratiqués par an en Argentine, 38 000 femmes ont été hospitalisées.
Ce message traduit une volonté de mettre fin à l’hospitalité de leur semblable car l’avortement est illégal.
Il est un peu plus difficile d’apercevoir ce qu’il y a inscrit sur la seconde affiche, à gauche de la photographie mais nous pouvons remarquer que les deux affiches sont signées par le même groupe. Le FPDS, autrement dit le Frente Popular Darío Santillán qui est un mouvement social et politique argentin qui a été fondé en 2004. Ce nom, ce mouvement le doit à Darío Santillán qui a été assassiné avec son camarade Maximiliano Kosteki en 2002 par la police lors d’une manifestation. Aujourd’hui Darío Santillán est un symbole politique qui représente la dignité et la loyauté. Ce groupe rassemble environ 3 000 personnes qui luttent contre le patriarcat, pour la défense des biens communs et pour la construction du pouvoir populaire.
Lorsqu’on s’attarde sur les femmes présentent sur la photographie, on peut remarquer qu’une l’une d’entre elle est mariée (elle porte une alliance) et l’autre non, preuve que des femmes de toute situation se sont réunies ce jour-là. L’expression sur leur visage prouve leur impatience face à la situation et leur mécontentement.
Réactions
L’avortement a longtemps été un sujet tabou qui a divisé ce pays très catholique qu’est l’Argentine mais aujourd’hui et depuis début 2020 leurs efforts ont payé car la loi en faveur de l’avortmeent est entrée en vigueur. L’avortement est maintenant reconnu légal. C’est le président Alberto Fernandez qui a annoncé qu’il allait envoyer au Congrès un projet de loi pour légliser l’avortement. C’est lors de sa campagne présidentielle qui allait expliquer qu’il était pour l’IVG. Le 1er mars 2020 celui explica que “En el siglo XXI toda sociedad necesita respetar la decisión individual de sus miembros a disponer libremente de sus cuerpos”.
De son côté, le groupe Colectivo Manifiesto explique que le projet de donner de la force aux minorités à travers une banque d’images a vraiment fonctionné et a eu un très bon impact.
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