Médias contre-hégémoniques: des éditions cartoneras à la cyberculture

DANY GOUTTIÈRE- Artiviste colombien, transactiviste, non-binaire

Le contexte et la lutte pour les droits de la population LGTB en Colombie

Comme en Amérique Latine, en Colombie, la population LGTB est l’objet de plusieurs violences et de vulnération de leurs droits. Certains articles affirment même qu’être trans en Colombie est une sentence de mort (DW.Historias Latinas, 2021). Pour comprendre le complexe panorama colombien en termes de violence, il faut partir du nombre moyen d’homicides depuis l’année 2011 et jusqu’à l’année 2020 : 110 par an. Cependant, dans l’année 2020, marquée par la pandémie, ce chiffre est monté à 226, le double de la moyenne. De même, les menaces verbales sont passées de 106 en 2019 à 337 en 2020, les victimes de violence policière sont passées de 109 en 2019 à 175 en 2020. Il est très difficile de déterminer les raisons qui expliquent cette augmentation de la violence car plusieurs facteurs sont à considérer. En premier lieu, les mécanismes de dénonciation ont été diversifiés de sorte que les plaintes ont augmenté.

En deuxième lieu, la hausse de violence est aussi un résultat des mesures de confinement mises en place en raison de la pandémie. Les groupes les plus affectés ont été les femmes trans et les hommes gays. Pour les trans, la forme de violence la plus exercée a été la menace ainsi que pour les hommes gays, l’homicide. Ces statistiques sont partagées par l’organisation de société civile Colombia Diversa, qui travaille autour de la lutte pour les droits de la communauté LGBT. Les formes de violence catégorisées sont les menaces, les homicides et la violence policière. Cependant, d’autres droits sont bafoués constamment. Par exemple, l’accès à la santé, á l’éducation, à un travail et un logement digne, entre autres.

Figure 1 : Types de violence. Colombia Diversa. http://www.colombia-diversa.org/p/que-hacemos.html

Bien qu’actuellement, la législation colombienne ait montré une progression considérable en termes de droits pour la population LGTB, il y a encore plusieurs barrières administratives et de discrimination sociale qui ont ralenti l’application des lois et politiques publiques. La discrimination sociale dans des espaces éducatifs et de travail poussent principalement la population trans à bouger vers des quartiers pauvres, arrêter les études et choisir des professions qui sont transsexualisées telles que le travail sexuel. Ainsi, des problématiques comme la pauvreté, la consommation et le trafic de drogues ainsi que l’accès restreint à la santé sont développées à l’intérieur de cette minorité.  Un autre élément important à considérer est la situation dans laquelle a vécu la population LGTB pendant les années de conflit en Colombie, étant reconnus en tant que victimes du conflit dans l’accord de paix avec la guérilla des FARC. (Colombia diversa, 2019)

Les progressions sur le plan législatif ont pris un certain retard dans le pays. Par exemple, en 1992 l’avocat Germán Rincón Perfetti a présenté pour la première fois une action de tutelle pour réaliser un changement de nom devant la cour constitutionnelle. C’est n’est qu’en 1998 que l’homosexualité n’a plus été une raison pour nier les droits à l’éducation grâce à l’annulation du décret qui signalait que l’homosexualité était une mauvaise conduite de la part des enseignants des écoles. Dans la même période, la cour constitutionnelle a confirmé que l’orientation sexuelle des élèves des écoles ne constituait pas une raison pour nier le droit à l’éducation. Ce n’est qu’en 2007 que le pacs pour les couples du même sexe a été approuvé, de même qu’en 2015 l’adoption d’enfants par des couples du même sexe et en 2016 le mariage égalitaire est devenu légal.

En tenant compte des violences provoquées par le long conflit armé dans le pays, en 2014 la première décision de Justice et Paix est prise, donnant à la population LGTB la condition de victimes des groupes armés. En 2016 l’accord de paix Colombien est devenu pionnier au niveau mondial grâce aux reconnaissances de la population LGTB en tant que victime du conflit armé. Finalement, en 2018 le pays a connu une politique publique LGTB au niveau national. Pour la population trans, quelques progressions arrivent en 2013 avec l’approbation de la cour constitutionnelle des procédures chirurgicales pour des modifications corporelles des personnes trans et pour la première fois, en 2018 l’assassinat d‘une femme trans a été reconnu comme un féminicide. 

Le travail artistique de Danny Gouttière

Danny Gouttière est un artiste colombien de 26 ans qui s’autodéfinie en tant qu’artiviste, transactiviste et non-binaire. Iel est né dans une municipalité proche de la ville de Medellín appelée La Ceja à Antioquia. Sa production artistique est très variée, iel est chanteur·e, peintre, dessinateur·e, écrivain·e, compositeur·e, performeur·se et mannequin. Parmi ses objectifs artistiques nous pouvons trouver la dénonciation de la violence contre les femmes et la population trans ainsi que les impacts du conflit armé sur les territoires colombiens.

Figure 2 : Danny Gouttière. https://danygouttiere.com/

Le début de sa carrière artistique est motivé par sa transition de genre qui a été marquée par un désir initial d’être une femme, raison pour laquelle iel a initié un traitement hormonal. Durant ce processus, Danny a découvert que l’identité féminine ne lui convenait pas, en arrêtant son traitement 6 mois après l’avoir commencé. À ce moment-là, il a décidé de rester dans un point neutre, en choisissant un genre non-fluide. Le début de sa production artistique est donc parallèle à sa transition et au déménagement à la ville de Medellin, une ville plus ouverte vers la population LGTB que La Ceja. Un autre élément à considérer dans son travail artistique est l’agression sexuelle qu’iel a vécue durant son enfance, selon lui, les raisons de son agression ont été la  féminité de son esthétique et ses gestes.

Figure 3: Jalando el tiempo. Estirando ideas. Piel. https://www.instagram.com/p/CKIp1_Ug3ec/

Au niveau des arts plastiques, Gouttière utilise différentes techniques telles que l’acrylique, l’aquarelle, le dessin au fusain et à ces illustrations, iel ajoute de temps en temps des interventions digitales qui recréent des illusions d’optique. Son travail explore la sexualité masculine à travers des images explicites et colorées. Iel explore aussi les portraits et dernièrement le dessin des bâtiments représentatifs de Medellin. En ce qui concerne le mannequinat, iel se penche vers l’exploration de son côté féminin depuis une perspective érotique, en reprenant des racines culturelles du continent latino-américain et en proposant une critique autour du colonialisme dans l’esthétique actuelle. Dernièrement, il a décidé d’étendre sa créativité à la création et production musicale. De manière autonome, Gouttière a lancé plusieurs singles musicaux où iel explore des rythmes comme le RnB et l’électronique, en proposant des paroles autour de sujets comme l’exploration sexuelle, les rencontres avec le plaisir, la dénonciation à la violence, la lutte contre la peur et la solitude entre autres.

La dénonciation de certains sujets de préoccupation sociale fait l’objet de ses travaux artistiques. Par exemple, dans l’exposition I Love my body (2021) de la M.A.D.S Art Gallery à Milan, Gouttière a présenté son travail artistique appelé Ella-Culada « Recuento de historias (mías) sobre prostitucion adolescente ». Le conflit armé colombien est un élément qu’iel inclut dans sa musique, sa peinture et directement dans les itinéraires touristiques, où iel explique les effets de cette violence dans le territoire national.  Des réflexions autour de la peur à être différent, la dysphorie et l’esthétique du corps accompagnent aussi ses photos et ses illustrations sur son compte Instagram, une technique qui lui a permis d’explorer dans le monde de l’écriture. Par exemple, la peinture appelée « Simplemente una travesti », est accompagnée par un texte dans lequel iel exprime plusieurs pensées en relation avec l’abus pendant son enfance.

Figure 4 : Simplemente una travesti. https://www.instagram.com/p/CZFJtt_ObvK/
Figure 8: Simplemente una travesti. https://www.instagram.com/p/CZFJtt_ObvK/

Cette peinture montre le visage de ce qui serait un travesti, la couleur de la peau est bleue et les traits comme les joues, le sourcil et la bouche sont exubérants. Certaines lignes d’expression sont mises en relief avec une couleur plus sobre et il est possible d’observer deux croix à l’inverse sur les paupières. D’autres éléments à remarquer sont les cornets jaunes avec des bords rouges qui sortent de ses cheveux noirs deux de chaque côté et une bougie rouge au milieu. D’autres cornets sont visibles des côtés du front et autour du cou. Iel joue encore avec le jaune et le rouge pour la composition des couleurs des yeux, des dents et des lèvres. L’accompagnement textuel de cette peinture nous permet d’interpréter plusieurs éléments. D’une part, les questionnements à propos du genre que depuis l’enfance sont présents. D’autre part, il est possible d’interpréter l’apparente description d’une violence exercée dans l’enfance et dont la famille entière fait objet. Également, les éléments religieux pourraient être mis en relation avec la description de l’agresseur « un être d’eau et lumière », en laissant interpréter que le suspect d’agression a une relation avec la religion. Cette narration parle aussi des processus très individuels comme la libération, la lutte contre l’agression et de l’acceptation.

Gouttière a exploré le monde de la photographie à travers une séance photographique faite à Buenos Aires en 2018. Ce travail lui a permis de mettre en évidence son exploration et culte au corps, á l’anorexie, à la non-binarité et à l’âme. Iel a participé aussi dans le projet appelé Corpografías. Transgresoras en fuga, un documentaire choisi par le laboratoire d’écriture Queer de scenario de la Cinémathèque de Bogotá suivant une perspective de genre. Sa carrière artistique a gagné une reconnaissance au niveau national grâce au reportage du journal national El Tiempo, où Gouttière a fait référence á la peur et son histoire personnelle, à la lutte pour les droits des personnes trans et les violences dont ils font face.  

Les principaux moyens de diffusion de son travail artistique sont ses comptes sur Instagram, son compte personnel @danygouttiere et, ce qu’il appelle son alter ego, @acida_dg. Iel partage aussi ses peintures et photos dans son site web https://danygouttiere.com/. Dans un premier moment, son compte @acida_dg était le moyen de diffusion pour ses productions autour du mannequinat et son genre féminin qu’iel considère comme travesti. Cependant, en 2021 ce compte a vécu une transformation en laissant une place à Danny Gouttière et sa quotidienneté qui n’est pas toujours féminine.

Écrit par Angie Melgarejo

Bibliographie


 

3 Comments

  1. alejandracr

    Il est intéressant de voir comment le support même qui définit les normes de beauté dans une société, comme l’art, est utilisé pour critiquer et saboter ces mêmes normes. Ce billet sur la violence à l’encontre de la communauté trans me fait penser à tous les groupes humains qui ont été historiquement marginalisés pour ne pas s’être conformés à la norme sociale et avoir brisé le statut quo, un statut imposé par une minorité dotée d’argent et de pouvoir qui a peur du changement parce que son pouvoir réside dans la sacralisation de certaines valeurs sociales. Des valeurs qui, dans l’illusion collective, semblent être sur le point d’être brisées et que l’humanité finira si elles sont transgressées, des valeurs telles que la famille traditionnelle, le rôle d’éducateur et de soignant des femmes, le rôle de pourvoyeur et de protecteur des hommes et surtout le rôle fondamental de la reproduction.

    Cependant, lorsque nous replaçons cette situation dans des termes plus réels, nous nous rendons compte que la diversité est la norme, qu’il est plus probable qu’il existe des centaines de groupes humains différents que d’en avoir un petit nombre et qu’ils soient la règle, car lorsque nous sommes confrontés à la réalité de 8 milliards de personnes dans le monde, nous nous rendons compte qu’il existe 8 milliards de façons de voir, de comprendre, d’écouter et d’interpréter la réalité et de vivre la vie. C’est grâce à cette diversité que l’être humain peut se transformer, évoluer et s’améliorer, c’est grâce à cette diversité d’identité de genre et de genre sexuel que l’être humain peut créer de nouveaux modes de vie où il n’y a pas de vérités absolues et où l’important est le respect et la préservation de la vie.

  2. anaisc

    Merci pour cet article nous mettant face à la violence à laquelle la communauté LGBTQ+ doit faire face quotidiennement et qui est souvent ignorée. Les chiffres que tu mets en avant sont impressionnants, terrifiants même lorsque l’on prend en compte que derrière chacun de ces chiffres se trouve une personne ayant été agressée ou ayant perdue la vie; Dans un pays tel que la Colombie dont la population est extrêmement croyante et principalement catholique, les personnes se reconnaissant comme LGBTQ+ sont des cibles privilégiés de discriminations en tout genre les rendant plus vulnérables et à risque. Le lent changement de mentalité et le fait que les lois peinent à suivre les besoins de ces personnes touchées par cette discrimination s’explique par le contexte politique du pays, notamment les conflits ayant éclatés, mais cela n’en reste pas moins choquant. Ta description du contexte est très enrichissante pour comprendre les aboutissants de la condition des personnes LGBTQ+ en Colombie, et pour quelqu’un comme moi qui ne connaît pas vraiment l’histoire du pays j’apprécie grandement que tu prennes le temps de détailler autant d’éléments permettant d’avoir une image complète du contexte de l’artiste.

    Et en parlant de l’artiste, Danny Gouttière n’était absolument pas un nom avec lequel j’étais familière avant de lire ce billet, mais c’est une très agréable découverte. En tant qu’artiviste, ses œuvres témoignent de sujets par lesquels un grand nombre de personnes LGBTQ+ sont affectées au quotidien, et laissent un impact fort sur le spectateur. L’utilisation de ses traumas, de sa souffrance qu’iel traduit en art est admirable, car cela demande énormément de vulnérabilité. L’artiste multiplie les plateformes d’expression, et il est intéressant d’explorer l’importante variété de médiums utilisés car au travers de différentes formes d’art il est possible d’être témoin de nombreuses formes d’expression et de messages différents. Danny Gouttière semble être un artiste complet qui élargit ce que signifie être artiste au travers de son usage à la fois de la peinture, de la photographie, ou encore de la musique. Le fait qu’iel multiplie les comptes montre également la diversité du contenu que l’artiste propose aux personnes qui le suivent, son choix de montrer son côté féminin autant que masculin bouleverse le concept de binarité du genre et renforce le parti pris de l’artiste de montrer ces différentes facettes de son existence.

  3. diagopo

    Je tiens à te remercier pour mettre a disposition l´information sur un artiste dont je connaissais pas du tout et qui est assez liée à mon propre billet sur un artiste non-binaire. La visibilité et la reconnaissance chez la communauté LGBTIQ+ est particulièrement important tant que c´est une communauté historiquement invisible dans la sphère publique, surtout celleux qui sortent de la norme binaire du genre. Cette violence est liée également au conflit armé colombien, lequel a mis en situation de vulnérabilité à une grand partie de cette population. Le dossier « Aniquilar la Diferencia » qui a été produit par le Centre National de Mémoire Historique parle de toutes les situations discriminatoires contre la population LGBTIQ+ dans le cadre de la guerre. Selon le dossier, la population le plus vulnérable étant la population trans, qui ont vécu une telle brutalité à cause de l´expression de leur identité de genre.

    Il y existe aussi des organisations comme Colombia Diversa et Caribe Afirmativo qui sont dédiées a la recherche et divulgation des situations de violence contre la communauté LGBTIQ+, et un des catégories qui se sont développées dernièrement par rapport à ce genre de violence c´est celle de a violence pour préjudice, qui indique que la majorité des violences contre la population LGBTIQ+ en Colombie est produit à cause des stéréotypes et croyances dangereuses. Dans ce contexte, l´art devient le meilleur instrument pour documenter les agressions, les problèmes, les traumas. Mais, c´est aussi un instrument de combat et de lutte contre les inégalités, comme le travail qui a fait Zallary Cardona, qui est un.e artiste non-binaire d´Antioquia qui travaille aussi sur la cyberculture, la question du genre et les problématiques sociaux de la Colombie. La dénonce qui fait cette artiste contre les conditions de vie des gens trans en Colombia, les problématiques au sein du marché de travail c´est fait parfois nécessaire dans le cadre d´un engagement politique, surtout parce que, même si un accord de paix a été signé en 2016, les assassinats sont encore à l´ordre du jour.

    Finalement, je trouve assez intéressant le concept de la travesti qui utilise Danny Gouttière, et surtout l´illustration de la travesti où on peut regarder quelques ressemblances aux travestis qui sont dessinées par Zallary Cardona, aussi avec des cornets, de maquillage et des couleurs extravagants. Même si la notion de la travesti est assez diverse, c´est curieux de trouver des ressemblances chez deux artistes non binaires dont leurs travaux ne sont pas du tout liées.

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