Médias contre-hégémoniques: des éditions cartoneras à la cyberculture

Bebé tamal: la mise en récit des cultures autochtones

Au cours de XXe siècle, diverses campagnes de promotion de la lecture et d’alphabétisation se sont déroulées en fonction du projet de l’État mexicain visant à promouvoir l’éducation au Mexique. Les nuances qu’ont pris cette politique d’éducation a fin de la traduire dans les réalités concrètes du pays ont varié d’un gouvernement à l’autre. Cependant, cela a intensifié l’impression et la distribution de matériels d’appui pour l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, ainsi que de matériels de lecture. Par conséquent, l’État mexicain et le Ministère de l’éducation publique sont devenus deux acteurs avec un fort pouvoir de décision sur le contenu, l’aspect visuel, les lieux de distribution et la langue dans laquelle les livres étaient publiés.

À l’heure actuelle, des campagnes d’alphabétisation et de promotion de la lecture sont menées dans le cadre des efforts visant à renforcer les langues indigènes. Le matériel de soutien pour l’enseignement a été fourni à la suite de la prise en compte des besoins spécifiques des communautés. Un exemple illustrant cela a été l’atelier du Laboratoire d’éducation et de médiation interculturelle donné par Eduardo Vicente à San Blas Atempa, Oaxaca, au Mexique. Il a utilisé le modèle numérique d’un livre intitulé Bebé tamal, traduit par lui-même dans la variante linguistique du zapotèque de cette région.

Atelier à San Blas, Atempa, Oaxaca. Source: Laboratoire
d’éducation et de médiation interculturelle (LEMI-UAQ)

Origine et motivations du modèle numérique de Bebé tamal

Fragment du modèle numérique de Bebé tamal. Source : Site web XospaTronic

Sur son site web, Éditions XospaTronic a mis en ligne deux fichiers avec des dessins en noir et blanc, avec des espaces vides et des instructions pour le pliage et le découpage des pages. Il s’agit de l’invitation à créer un petit livre numérique avec la narration bilingue d’une recette pour faire des tamales, un plat typique du Mexique et d’autres pays d’Amérique latine fait de maïs, auquel on ajoute différents ingrédients. La recette peut varier géographiquement et culturellement.

Isela Xospa. Source : Site web, XospaTronic

L’autrice du Bebé tamal est la designer graphique, éditrice indépendante et activiste numérique Isela Xospa. Elle a réalisé le modèle numérique de ce livre dans le cadre du projet   « Échange de connaissances et activisme numérique dans les langues autochtones », une initiative de la maison d’éditions qu’elle dirige, Éditions XospaTronic, et qui cherche à:

« renforcer les alliances et les échanges entre les peuples autochtones de notre continent afin de produire des contenus graphiques et des publications en langues autochtones pour les enfants et les jeunes » (Interview avec Isela Xospa, 2020)

L’idée de ce livre numérique est née pendant les 11 ans que l’autrice a vécu à New York, où elle a été proche des enfants migrants dont beaucoup venaient des familles mexicaines et qui, tout comme elle avec le nahuatl, ne parlaient plus la langue autochtone de leurs régions d’origine.

« Mi trabajo artístico intenta resumir la labor de búsqueda y reencuentro con mi propia cultura, la que fue estigmatizada por el Estado-nación mexicano, y que nuestros abuelos dejaron de compartir con las nuevas generaciones para evitar que fuéramos víctimas de discriminación y rezago. »

Isela xOSPA

S’il est vrai que la non-transmission intergénérationnelle des langues autochtones est encore courante au Mexique, il est également possible d’identifier la permanence d’autres éléments culturels, tels que l’habillement, les fêtes, les traditions, la nourriture. Ces autres éléments permettent de tisser des liens culturels par lesquels des nombreux artistes cherchent à créer une autre voie possible de renforcement linguistique.

À cet égard, Isela Xospa prend comme source d’inspiration son propre lieu d’origine, Milpa Alta (au sud-est de la ville de Mexico), pour dessiner le territoire visuel de Bebé tamal. De manière que le livre récupère des lieux, des objets, des personnages, des activités avec lesquels les enfants peuvent s’identifier dans la mesure où ces éléments leur rappellent des pratiques culturelles conservées dans leurs familles, notamment la préparation des tamales. Le personnage du bébé tamal est né du désir d’encourager la curiosité des enfants et des jeunes afin que, à l’avenir, ce sentiment ait un impact sur la retransmission de leurs langues.

De même, Isela Xospa a pris une position critique sur les représentations faites du Mexique et de ses habitants par des agents externes ou par l’État mexicain, qui reproduisaient des images discriminatoires des populations indigènes. L’artiste a donc cherché à nourrir son projet à partir de sources directes, fruit de ses propres expériences, de sorte que le livre devienne aussi une invitation pour ses lecteurs.rices à intervenir dans le récit. C’est le cas de l’atelier donné par Eduardo Vicente mentionné ci-dessus, dans lequel les enfants ont commencé à partager les uns avec les autres les recettes qu’ils ont réalisées chez-eux.

Chronologie de la matérialité du livre

Les versions différentes de Bebé tamal montrent les différentes tentatives de trouver une façon plus conviviale et accessible pour les enfants de se reconnecter avec leur culture. L’artiste a effectué plusieurs essais avec les techniques d’impression qu’elle a appris lors de son séjour à l’étranger, telles que la sérigraphie, la broderie, la risographie et la typographie en caractères mobiles.

Les transformations de Bebé tamal. Récréation avec les photos d’Isela Xospa. Source : Site web XospaTronic et Instagram d’Éditions XospaTronic

La version faite à partir de l’imprimerie à caractères mobiles et le livre brodé ont exigé beaucoup de temps et de ressources financières, ainsi qu’ils s’éloignaient des buts les plus liés aux enfants. Finalement, dans la technique de la risographie (un type d’impression qui permet de faire des photocopies à une, deux ou plusieurs encres), l’artiste a trouvé le moyen d’édition le plus efficace et le plus économique pour les enfants à New York.

Une deuxième étape de la transformation de la façon de publier Bebé tamal est liée à un autre objectif important pour l’autrice : la traduction en nahuatl de Milpa Alta, ainsi que l’accès de ses livres aux enfants de cette région, raison pour laquelle elle est retournée au Mexique. En 2021, Éditions XospaTronic a publié la version trilingue nahuatl-anglais-espagnol. Cette version et son processus de création ont fortement influencé son passage au numérique.

La proposition graphique d’Isela Xospa a été invitée à intégrer les projets d’autres groupes qui travaillent aussi pour le renforcement des langues autochtones au Mexique à travers l’activisme numérique. Parallèlement, ces autres groupes ont influencé le passage de Bebé tamal à un outil numérique.

Pour mener à bien le projet de traduction de Bebé tamal dans d’autres langues autochtones, Isela Xospa a mis en ligne le modèle éditable pour que les différents groupes puissent l’utiliser comme point de départ. L’appel pour l’édition du modèle avec d’autres recettes et dans autres langues autochtones a conduit à l’écriture de plus de 30 versions différentes. Par la suite, plusieurs d’entre elles ont également été laissées pour leur libre téléchargement sur la page d’Éditions XospaTronic.

Matérialités multilingues

Les politiques d’éducation mis en place pendant le dernier siècle au Mexique, tandis que motivées par le besoin d’imprimer assez des livres pour l’alphabétisation du plus grand nombre possible d’enfants, ont également impliqué la création de matériaux d’appui homogènes. Bien que chaque traduction de Bebé tamal partage le même modèle graphique et visuel, cet nouvelle caractéristique numériqué, en tant que flexible, renforce sa capacité d’adaptation afin de mieux répondre aux besoins des réalités multiculturelles et multilingues de l’Amérique latine.

Pour autant qu’ils partagent la même base, ils partagent aussi le chemin des transformations physiques de Bebé tamal liées aux prises de positions politiques sous la forme de l’art. L’ensemble des traductions répond aussi au but de créer un matériel qui aide les enfants à retrouver les langues et les cultures de leurs familles. Ceci grâce à des matériaux de bonne qualité, aimables et capables de communiquer des contenus avec lesquels ils peuvent se sentir identifiés.

Grâce à l’effort d’un nombre croissant de groupements nés des expériences et des besoins des communautés indigènes, comme dans le cas d’Éditions XospaTronic, désormais, il y a de plus en plus propositions qui mettent en évidence l’importance de reterritorialiser l’alphabétisation et la promotion de la lecture en langues autochtones. Les versions numériqué et numérique de Bebé tamal se présentent comme une alternative éditoriale, dont la matérialité multilingue accueille le récit des cultures autochtones.

Sources

Bëni Xidza. (2021). Bebé Tamal / Baby Tamale / Conetamalli. Una entrevista con Isela Xospa de Ediciones XospaTronik [YouTube] https://youtu.be/rX_cmkC3ktg

Biblioteca de Investigación Juan de Córdova. (2020). Retos y experiencias en la edición en lenguas indígenas [YouTube] https://youtu.be/Be95nZ8Bddo

Herrera, L. (2020). La producción de libros en México (1911-1960). En K. Bello & M. Garone (Coords.), El libro multiplicado (pp. 40-111). Ciudad de México: UAM.

Instagram d’Éditions XospaTronik: https://www.instagram.com/ediciones_xospatronik/?hl=es

Rising Voices. (2020). Une interview avec Isela Xospa, militante numérique pour la langue náhuatl. https://fr.globalvoices.org/2020/06/25/250348/

Site web d’Éditions XospaTronik: https://xospatronik.com/

*Toutes les photos publiées avec l’autorisation de leurs auteurs.trices

1 Comment

  1. mariajazminu

    Mariana je vous remercie beaucoup d’avoir diffusé l’initiative de Bebé Tamal, Je trouve très intéressant que ce soit un produit artistique à des fins éducatives et la possibilité de l’imprimer et de travailler avec eux gratuitement. Cela leur permet de s’approprier et de s’identifier à leur culture et à leur langue dans un format facilement accessible et adapté aux enfants.
    Ce projet a plusieurs points de contact avec les Imilla Skate qui promeuvent également la revalorisation de leur culture indigène et utilisent un mot en quechua pour s’identifier en tant que collectif skater. Aussi bien la créatrice de Bébé Tamal que les ImillaSkate sont des jeunes femmes autonomisées qui veulent sensibiliser en promouvant le soin et la revalorisation des racines et de l’identité latino-américaine, que ce soit par l’habillement, la nourriture et la langue. Leur identification en tant que femmes autochtones aussi les sœurs.
    Il est très pondérable la continuité qu’ils réalisent entre le passé et le présent à travers des éléments attrayants pour que les enfants et les jeunes se rapprochent de leurs propres racines, les maintiennent et les transmettent.
    Je salue cette initiative, qui s’inscrit dans un mouvement plus large de récupération de la culture latino-américaine, mettant l’accent sur le langage à travers la nourriture et une recette ancestrale qui se transmet de génération en génération.
    Je pense que les pays latino-américains auraient dû protéger les langues autochtones, par le biais de politiques d’État, de sorte que les descendants des populations autochtones n’aient pas honte de leur culture et que les langues autochtones ne se perdent pas. Il s’agit d’un patrimoine de l’humanité qu’il convient de préserver. En général, peu de personnes sont capables d’enseigner ces langues et il devient de plus en plus difficile d’éviter leur disparition au fil du temps. C’est pourquoi des projets comme celui développé dans cet article sont très importants car ils créent un sentiment d’appartenance chez les jeunes générations qui, dans de nombreux cas, habitent des territoires autres que ceux d’origine.
    En Argentine, un mouvement de valorisation de la médecine autochtone est en cours. L’objectif est de créer une relation avec la terre plus respectueuse et consciente, en cultivant ses propres aliments de manière naturelle et organique et en respectant les écosystèmes. Ce mouvement est naissant, mais il est très encourageant et s’ajoute aux diverses initiatives de la région, j’espère qu’il sera le germe d’un mouvement latino-américain de récupération des racines, de soin et de respect de la nature.

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