Mujeres Creando est un collectif militant créé en 1992 suite à l’élection d’Evo Morales à la tête de la Bolivie. La cause des femmes est vivement utilisée dans sa campagne électorale puis abandonnée ensuite lorsque ce dernier devient président de la Bolivie. C’est dans la rue que Mujeres creando naît, en réunissant des jeunes et notamment des femmes qui soutiennent des manifestations, blocages et événements de contestation dans la rue. Un collectif de femmes se crée et met en place des assemblées générales afin de discuter de la situation politique du pays et de s’organiser pour le futur. Cette assemblée féministe prend forme sous l’impulsion de Maria Galindo, Julieta Paredes et Monica Mendoza et se met en place dans la rue, dans un café de la Paz, ainsi que dans une maison artistique nommée “ la virgen de los deseos”. 

“En tant que Mujeres Creando nous avons aussi redéfini le féminisme, à partir de nos racines, en tant que proposition politique, éthique, philosophique qui vient de notre corps à n’importe quel moment de l’histoire, dans n’importe quelle partie du monde, contre le patriarcat, ce qui veut dire qu’il y a simultanéité de féminismes, il n’y a pas un fait fondateur.” 

Entretiens avec Julieta Paredes 

Le collectif lutte dans de nombreux domaines de la vie bolivienne. Le racisme omniprésent, le travail domestique asservissant et non rémunéré, entre autres, a mené les militantes à revendiquer un salaire domestique. La clé, c’est de combiner les luttes de classe, de race et de genre. Mujeres creando permet l’expérimentation et la réalisation de ce qu’elles appellent la “politique concrète”. C’est un mouvement qui dure depuis 30 ans et ce qui fait sa force selon Maria Galindo, c’est qu’il ne s’épuise jamais. Mujeres creando parvient à réunir des femmes d’horizons très variés, des ouvrières, des syndicalistes, des femmes qui travaillent sur les marchés, des femmes de la classe moyenne, etc. De nombreuses militantes du collectif se revendiquent lesbiennes. 

Mujeres creando est un mouvement féministe qui prone la réappropriation de l’espace public pour les femmes. Cette appropriation de la rue passe par des graffitis et par la création d’espaces physiques comme le café carcajada et la virgen de los deseos, qui permettent aux militantes et aux concernées de se réunir pour discuter, débattre, faire acte d’adelphité, rire, aimer, s’organiser, etc. Les graffitis ainsi que les performances artistiques sont la manière la plus visible de mettre en avant leurs revendications féministes et politiques. Il y a également la radio, qui permet une appropriation de l’espace de parole, pour permettre une parole libre et engagée. 

C’est un collectif qui se définit comme anticapitaliste, anti-raciste, feministe, composé de femmes.

“’Mujeres creando’ es un movimiento al que me gusta definir con una metáfora: indias, putas y lesbianas, juntas, revueltas y hermanadas” 

Maria Galindo

 

Elles abordent dans leurs lutte divers sujets tels que le racisme, l’avortement, la prostitution, les questions politiques, le féminicide, le colonialisme, le machisme, etc. 

Moyens de lutte 

Les actions de Mujeres creando sont multiples : graffitis, banderoles, actions publiques, réseaux sociaux, création de livres et de films. La majorité de leurs actions prennent donc place dans la rue. L’objectif est l’appropriation de l’espace public Bolivien. Sur internet, un site regroupe les luttes, les évènements artistiques et militants, les graffitis, livres, et lieux dont Mujeres creando sont à l’initiative.

La rue est représentée comme un lieu de vie, de lutte et d’actions. Le fait que des évènements aient lieux dans la rue révèle une conception de l’espace public : les femmes circulent quotidiennement dans la rue, mais les évènement militants auxquelles elles participent, en tant que femme, leur ouvrent une nouvelle conception de l’appropriation de l’espace public. 

Associé à mujeres creando, la radio deseo est une radio féministe. Les principes de base affichés sur le site internet de la radio sont clamés : non au machisme ou à la misogynie, non à l’homophobie, non au racisme, non au classisme. Les luttes sont pour le respect de l’avortement et des femmes dans la prostitution. La radio ne donne aucun accès aux ONG, aux partis politiques et à la religion. 

Les graffitis 

“Una de las formas en las que tomamos el espacio público es mediate los graftis. Esto se realiza desde que nacimos como movimiento. Nuestros grafitis se pueden encontrar en todo el territorio nacional, se renuevan constantemente y son de creación colectiva. Contamos con dos libros recopilatorios de nuestros grafitis, el primero es edición agotada, el segundo aún está disponible.” 

Les graffitis sont la signature de mujeres creando. Ils sont toujours signés et sont présents dans tout le pays. Les sujets qui sont dénoncés sont divers et le site internet de mujeres creando permet une mise en mémoire de ces graffitis grâce à des photos organisées par thèmes.

Les slogans ont pour thématique l’avortement, les féminicides, les élections, la politiques, et tant d’autres.

D’autres slogans sur les féminicides sont graffités tels que “el feminicidio es una masacre de las mujeres” par exemple, ou encore “todos los partidos son una arma cargada de violencia, machismo y corrupción” 

Des lieux d’expression 

Plusieurs lieux emblématiques du collectif ont été mis en place suite à sa création. Deux lieux ont émergé pour permettre aux militantes de Mujeres creando de se retrouver. 

Le café carcajada

Situé dans la ville d’El Alto, banlieue de la capitale de la Paz. C’est une ville pauvre composée d’une population majoritairement indigène, la situation géographique du café n’est pas un hasard. C’est un café autogéré qui permet de mettre en place les valeurs de mujeres creando. Dans un entretien, Julieta Paredes énonce que “Pour nous la lutte doit forcément être créatrice de plaisir, avec beaucoup de malice, de rire, en jouissant de ce que nous faisons, et nous voulons vivre en communautés, détruire la propriété privée et mettre ce que nous avons en commun, et vivre cette utopie ici et maintenant, au quotidien, entre nous, avec d’autres aussi” et c’est avec l’aide du café que cela peut se concrétiser dans la communauté des militantes de mujeres creando et plus largement, des féministes. 

Le café carcajada, qui signifie crise de fou rire, est un espace de transmission et de développement de la culture féministe. C’est un lieu autonome, autogéré et communautaire. C’est un espace de réunion, de coordination, et d’amitié. 

Autre espace de création, la virgen de los deseos

La virgen de los deseos est un espace artistique vu aussi comme la maison de mujeres creando. Ce lieu est créé en 2005 et propose un marché écologique, des services internet, d’alphabétisation, une douche publique, un logement à bas prix, une librairie et un restaurant. C’est un lieu de réunion qui permet de mettre en place des performances artistiques et militantes. C’est également un lieu qui permet l’isolement, c’est un espace dédié aux femmes en séparation au reste de la société. C’est un lieu de désobéissance et de rébellion. 

bibliographie 

Paredes, Julieta, et Sabine Masson. « Féminismes, lesbianismes et processus révolutionnaires en Bolivie », Nouvelles Questions Féministes, vol. 26, no. 3, 2007, pp. 109-125. 

Mujeres creando “La virgen de los deseos” – 1a ed. – Buenos Aires : Tinta Limón, 2005. 256 p.