Arts et innovations en Amérique latine

Médias contre-hégémoniques: des éditions cartoneras à la cyberculture

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Cartonera EquiZZero : une éditoriale indépendante au Salvador

Le contexte  de fondation de EquiZZero

EquiZZero est une éditoriale cartonera en ligne basée à San Salvador (El Salvador), créée en 2010, sous la présidence de Mauricio Funes. Il fut le 1er président élu appartenant au parti Farabundo Marti de Liberacion Nacional (FMLN) depuis la fin de la guerre civile en 1992. Le FMLN était la guérilla opposée au gouvernement Salvadorien entre 1980 et 1992. Tous les présidents entre 1992 et 2009 étaient issus de l’ARENA, le parti de la droite conservatrice, lié au gouvernement durant la guerre civile. De fait, la création de cette cartonera se fait dans une période de changement politique. Mauricio Funes est lui-même un ancien journaliste réputé au Salvador, ce qui a pu permettre un certain espoir dans la liberté d’expression salvadorienne.

GIS Research and Map Collection
Carte du Salvador

La décennie 2010, au Salvador, est marquée par les violences liées à la criminalité organisée et aux réponses violentes apportées par l’Etat afin d’y mettre un terme ; le pays a l’un des taux d’homicides parmi les plus élevés au monde. A cela s’ajoute des problèmes socio-économiques ayant pour conséquences de pousser une partie des Salvadoriens à émigrer.  De plus, l’alternance politique qui débuta avec l’élection de Funes ne permit pas de résoudre les problèmes nationaux tandis que les affaires de corruption et la gestion de la politique anticriminalité reste critiquée et inefficace. Sous le mandat de Mauricio Funes fut mis en place une nouvelle politique vis-à-vis des pandillas, la « Tregua ». Cette trêve entre l’Etat et les gangs étaient et restent mal perçue, malgré sa fin en 2016. Les échecs politiques, sociaux et économiques ont engendré un désenchantement vis-à-vis du système politique en vigueur depuis 1992.

En outre, il convient de replacer El Salvador dans son contexte régional. Situé dans le Triangle Nord de l’Amérique Centrale, ce pays ainsi que ces voisins centraméricains restent marginalisés, que ce soit politiquement ou culturellement. A l’inverse, la couverture médiatique extérieure de cette région se centre principalement sur les problèmes de sécurité et de migrations, sans toutefois s’interroger sur les causes et les dynamiques de sociétés.

Il peut sembler intéressant de voir cette initiative éditoriale centrée sur les auteurs Centraméricains, comme une tentative d’émancipation et de mise en valeur de leur littérature, vis-à-vis du Mexique, influent culturellement.

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Des mots teints en rose : la lutte féministe au pays où la polarisation économique, politique et sociale règne.

Dans un pays où la crise économique, la polarisation politique et les tabous sociaux règnent, la lutte féministe semble être en arrière-plan des priorités des Vénézuéliens. La Constitution de 1999 se démarquait en tant que cadre juridique ayant pour but de visibiliser, protéger et honorer les femmes et leur participation politique. Cependant, 20 ans plus tard, le Venezuela reste un pays où les problématiques dont l’accès restreint aux contraceptifs, l’IVG clandestine, la violence conjugale et le machisme sont à l’ordre du jour, quoique la législation dicte. Certes, diverses initiatives ont été créés et suivies par le gouvernement dans le cadre de l’idéologie de Hugo Chávez, « le président féministe » pendant que d’autres ont surgit à l’écart du régime, indépendantes de la scène politique. Mais, aujourd’hui…

La réalité du pays et de ses femmes sont-elles reflétées dans la production médiatique vénézuélienne disponible en ligne ?


Le spectre politique se répand-il dans le champ médiatique ?


Les cybermédia ayant une perspective de genre sont-ils soumis à la censure gouvernementale ?

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Magnolia Cartonnera : une incitation à la lecture communautaire et collective

Logo Magnolia Cartonera

La maison Magnolia Cartonnera voit le jour en 2014 – à Curitiba au Brésil – sous l’impulsion de Daniele Carneiro et Juliano Rocha, deux jeunes artistes indépendants (images des deux fondateurs ci-dessous). La fondation de Magnolia Cartonnera est l’aboutissement de plusieurs projets ayant pour vocation de facilité l’accès à la lecture. La genèse de ces différents projets remonte à 2012, avec la création de la Biblioteca Comunitaria do Sitio Vanessa localisée dans la partie rurale de l’État du Paraná, au sud du Brésil. Cette bibliothèque communautaire permet aux personnes issues des régions reculées d’avoir un meilleur accès aux productions littéraires, incitant dès lors les communautés locales à la lecture et à l’échange culturel. Le blog de la Biblioteca Comunitaria do Sitio Vanessa parait la même année et met à disposition de sa communauté diverses publications littéraires ainsi que celles à venir.

Source : @Magnoliacartonnera

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Diario de una princesa montonera de Mariana Eva Pérez. Ou l’expression d’une voix qu’on voulait étouffer

Contextualisation

Mariana Eva Pérez est une politologue, dramaturge et écrivaine argentine née à Buenos Aires en 1977, en pleine dictature militaire (1976-1983). Elle est devenue orpheline à 15 mois, le 6 octobre 1978, lorsque ses parents ont été séquestrés par les Forces Armées alliées de la dictature à cause de leurs engagements politiques puis portés disparus. Après avoir été enlevée aux côtés de sa mère enceinte de 8 mois, elle a eu la chance d’être récupérée par l’un de ses cousins puis élevée par ses grands-parents paternels. En 2000 elle a retrouvé son frère, Guillermo Pérez Roisinblit, né en captivité et volé à la naissance, et ils ont pu rencontrer leur grand-mère, Rosa Roisinblit, vice-présidente de l’ONG Abuelas Plaza de Mayo.

La vice-présidente de l’organisation Abuelas Plaza de Mayo, Rosa Roisinblit, avec ses petits-enfants Guillermo Pérez Roisinblit et Mariana Eva Pérez, devant les tribunaux de San Martín, le 8 septembre 2016.
© Juan Mabromata / AFP

Cependant, comme pour de nombreux desaparecidos, le mystère reste entier concernant le destin des parents de l’autrice. On sait juste qu’ils s’appelaient José Manuel Pérez Rojo et Patricia Julia Roisinblit, qu’ils n’avaient pas 30 ans, qu’ils étaient tous deux membres de la Columna Oeste des Montoneros, le père responsable militaire et la mère infirmière, et qu’ils ont été séquestrés l’un dans le RIBA (Regional Intelligence Centre of Buenos Aires) et l’autre dans l’ESMA (Escuela de Mecánica de la Armada).

Rosa Roisinblit devant la photo de sa fille disparue, Patricia Julia Roisinblit.
Seules photos qu’il reste des parents de M. E. Pérez, non datées.

Pour comprendre le contexte de création et les motivations de Mariana Eva Pérez il est nécessaire de revenir brièvement sur la chronologie de l’histoire socio-politique argentine à l’issue des 7 ans de dictature (1976-1983).

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Vamos Mujer : féminisme, paix et mémoire à Medellin.

Vamos Mujer est un organisme féministe établi à Medellin, se battant pour la reconnaissance des femmes dans l’espace public et social Colombien. La mission principale de ce collectif est de promouvoir la solidarité, l’égalité ainsi que la justice, dans un contexte de conflit armé et de conflit urbain en Colombie, et plus particulièrement dans la région d’Antioquia et sa capitale, Medellin. Son objectif principal est de pouvoir donner aux femmes le droit d’avoir une vie digne, comme l’indique le slogan associé au nom de l’organisme “Vamos Mujer : por una vida digna”. Il s’agit de pouvoir offrir une vie saine et une reconnaissance sociale, loin des violences qui frappent la ville depuis si longtemps. 

Cet organisme a été créé en 1979, époque à laquelle il s’appelait “Corporación Maria Cano”, en hommage à Maria Cano (1887 – 1967), une habitante de Medellin qui fut la première femme à assurer un rôle de leader politique en Colombie. C’est en 1987 que le nom devient officiellement Vamos Mujer et que la société obtient le statut de personne juridique. Dans un contexte de conflit armé grandissant, il s’agit de lutter pour la reconnaissance des femmes dans une guerre où elles sont encore aujourd’hui trop souvent rendues invisibles et de faire de ces dernières des acteurs politiques actifs et pacifistes afin de combattre la terreur et la violence. 

Vamos Mujer est composé d’une équipe de femmes venant de divers milieux professionnels, faisant donc de son équipe un groupe pluridisciplinaire et intergénérationnel, visant à fournir le meilleur accompagnement possible aux femmes bénéficiant du suivi et de l’aide de l’organisme. Pour cela, treize femmes sont à la tête du collectif. Elles sont aidées par une équipe administrative ainsi qu’une équipe chargée de la communication et de la coordination des projets et travaux menés.

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Cardboard House Press: un projet d’affirmation culturelle transfrontalier en Arizona

Logo de la maison d’édition

C’est en voulant rendre hommage au premier livre (La casa de cartón) de l’auteur et poète péruvien Martín Adán, publié en 1928, que ce projet cartonero porte le nom Carboard House. Cette maison d’édition sans but lucratif est située en plein cœur de la ville de Phoenix, capital de l’Arizona. Cet état frontalier avec le Mexique comporte une forte population latino-américaine et chicano étant donné son emplacement et son histoire. Notons que cet état faisait partie du Mexique avant la guerre américano-mexicaine qui s’acheva en 1848. Cette portion des États-Unis est donc à cheval entre deux pays, un terrain propice aux échanges culturels. C’est d’ailleurs sur ces échanges culturels que le Cardboard House Press veut miser en se consacrant au développement et à la création de médias afin de réaliser des échanges culturels entre les communautés. Ce projet cartonero a pour objectif de valoriser et de diffuser la littérature hispanophone en provenance d’Amérique latine et d’Espagne. Pour ce faire, tous les ouvrages publiés par la maison d’édition sont bilingues (Anglais-Espagnol) dans l’optique de rejoindre le plus grand nombre. Cette ouverture du mouvement cartonera aux anglophones fait aussi la particularité et la force de ce projet.

Des auteur.e.s d’Argentine, de Colombie, de Cuba, du Chili, d’Espagne, du Guatemala, du Mexique, du Pérou, de Puerto Rico et d’Uruguay ont ainsi été publiés dans les deux langues. Pour se financer, le Cardboard House Press a mis en place un onglet donate afin de solliciter l’aide du public. Il est également soutenu par des associations et entreprises variées comme en atteste son site internet. Parmi les partenaires économiques, nous retrouvons la National Association of Latino Arts and Cultures, la Arizona Commission on the Arts, la Andrew W. Mellon Foundation, la Ford Foundation, Southwest Airlines, la Surdna Foundation, Arizona Humanities et la City of Bloomington Arts Commission.

En plus d’offrir des traductions sur son site, Cardboard House Press propose aussi des ateliers de création/production de cartoneras pour la communauté latino-américaine et chicano. Cela participe activement à l’affirmation culturelle de ces communautés qui, bien qu’implantées dans la région depuis longtemps, restent dans une position socio-économique et politique fragile de façon disproportionnée en comparaison à d’autres populations. L’accès à l’emploi, la barrière linguistique, et les politiques migratoires figurent parmi les obstacles rencontrés par beaucoup encore aujourd’hui. La maison d’édition, par sa mission, tente de pallier cette réalité en misant sur l’accès à la culture. Les participant.e.s aux ateliers vont, en plus d’être en contact direct avec des œuvres internationales, participer à l’élaboration de leur propre œuvre. Ainsi, le projet rassemble jeunes et moins jeunes autour du mouvement Cartonera latino-américain au sein d’un pays qui en compte très peu.

L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est tallere.jpg.
Membres du collectif participant à un atelier de confection cartonero

En avril 2020, dans un article publié sur le site Reading in Translation la traductrice et poète Kelsi Vanada donne son impression du collectif Arizonien et du mouvement cartonera qu’elle associe à la contre-culture. Elle relate comment le collectif a fait de la confection de livres en matières recyclées, une façon de rassembler les gens qui vont renverser les structures de pouvoir économique et idéologique, incluant celles du monde littéraire. Elle fait aussi allusion à l’aspect linguistique et écologique du projet :

In addition, the Collective’s work engages in creating solidarity with Latin American cartoneras, and in recognizing Spanish as a language of the United States. This social statement is complemented by an environmental one: the Collective is reusing materials in a country where climate change is categorically disputed or ignored, and that in and of itself is reason enough for the Collective’s work. Much of the cardboard the Collective uses comes from condom boxes shipped to a local LGBTQ+ health clinic.

KElsi vanada
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La Santa Muerte Cartonera : une maison d’édition rebelle et marginale

La délinquance et le terrorisme comme forme d’écriture littéraire

La Santa Muerte Cartonera, ville de Mexico, 2008-2010.

La maison d’édition Santa Muerte Cartonera a été fondée dans la ville de Mexico en 2008 par deux poètes : le chilien Héctor Hernández Montecinos et le mexicain Yaxkin Melchy.

C’est la deuxième Cartonera à voir le jour au Mexique après la Cartonera de Cuernavaca née la même année dans un contexte de conservatisme politique et d’explosion des maisons d’édition Cartonera dans le pays. Le pays compte aujourd’hui près d’une trentaine de Cartoneras. Elle fait ainsi partie de la première « génération » de cartoneras mexicaines et a inspiré les cartoneras mexicaines de la seconde génération notamment les Cartonera Kodama, Cohuiná, Tegus et Orquestra Eléctrica.

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La Santa Muerte Cartonera, ville de Mexico, 2008-2010.

La maison d’édition Santa Muerte Cartonera a été fondée dans la ville de Mexico en 2008 par deux poètes : le chilien Héctor Hernández Montecinos et le mexicain Yaxkin Melchy.

C’est la deuxième Cartonera à voir le jour au Mexique après la Cartonera de Cuernavaca née la même année dans un contexte de conservatisme politique et d’explosion des maisons d’édition Cartonera dans le pays. Le pays compte aujourd’hui près d’une trentaine de Cartoneras. Elle fait ainsi partie de la première « génération » de cartoneras mexicaines et a inspiré les cartoneras mexicaines de la seconde génération notamment les Cartonera Kodama, Cohuiná, Tegus et Orquestra Eléctrica.

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Feminismo Xeneize : une chaîne YouTube pour visibiliser l’identité féministe du Boca Juniors.

Notre objet d’étude est la chaîne YouTube Feminismo Xeneize, canal numérique principal du collectif féministe du même nom,. Le collectif a été crée en février 2019 à Buenos Aires par des membres de différentes associations de supporteurs·ices du Club Atlético Boca Juniors (CABJ).

Depuis la création du collectif, de nombreuses actions ont été menées par les supportrices : cancionero de chants féministes en vue de la Coupe du Monde féminine de la FIFA de 2019, des actions féministes (25N et 8M au sein de cortèges supportrices), rédaction de protocoles de prévention des violences, cycles de conférences inter-collectifs pour ne citer que les plus marquantes.

Dès les premières actions du collectif, les réseaux sociaux mainstream ont été utilisés comme vecteurs de visibilité notamment par le biais des médias tels que Facebook et Instagram, qui permettent une inclusion au sein de la représentation des supporteurs·ices.

Capture d’écran de la page d’accueil de la chaîne YouTube Feminismo Xeneize.

68 VOCES – 68 CORAZONES : UNE ANTHOLOGIE NUMÉRIQUE POUR REVALORISER LES CULTURES D’ORIGINE

Illustration de 68 voces 68 corazones

Le Mexique est un des pays qui compte la plus riche diversité linguistique des Amériques avec 68 langues indigènes encore parlées. Pourtant, certaines langues sont en voie de disparition en raison d’un contact inégal entre la société hispanophone et les sociétés indigènes. Malgré le grand nombre de locuteurs, Continue reading

La Sofía Cartonera : de la rue à l’université, la faculté qui désacralise le livre.

Une maison d’édition cartonera et universitaire

Née en 2012, la maison d’édition La Sofía Cartonera est un projet littéraire fondé par la faculté de philosophie et sciences humaines à l’Université de Cordoue en Argentine ( Facultad de Filosofía y Humanidades -Universidad Nacional de Córdoba.) « Programme d’extension universitaire », cette maison se place comme la seule édition Cartonera qui ait vu le jour au sein d’une université et qui soit financièrement autonome. 

Coordonnée par l’enseignante et chercheuse Cecilia Pacella, La Sofía Cartonera, a perçu dans la démarche de l’édition pionnière Eloísa Cartonera un moyen de rassembler des intérêts collectifs, coopératifs et communautaires à caractère culturel et à fonction sociale. En effet, en 2011, Washington Cucurto, le fondateur d’Eloísa Cartonera participa à un congrès instauré par l’université…très rapidement un dialogue s’est installé entre l’éditeur et les étudiants.

Dès lors, l’esprit de la première maison d’édition servie de base à la création de La Sofía Cartonera. C’est un projet qui souhaite connecter la faculté avec la société grâce à la littérature. Toutefois, ce lien est parfois entravé par la vision sociale de l’université perçue comme une entité étrangère. L’objectif de cette édition est donc de développer des livres et des projets qui soient la passerelle entre la société et le monde universitaire. De la sorte, des étudiants, des diplômés et des enseignants issus d’unités académiques diverses s’engagent dans le développement de La Sofía Cartonera et dans la construction de liens entre l’université et les différents acteurs sociaux.

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