Arts et innovations en Amérique latine

Médias contre-hégémoniques: des éditions cartoneras à la cyberculture

Curve, les 30 ans d’un magazine lesbien

Deneuve/Curve, a lesbian magazine

Curve est le magazine lesbien le plus ancien et le plus vendu des Etats-Unis. Fondé en 1991 par Frances “Franco” Stevens sous le nom de Deneuve, il a représenté un phare de visibilité lesbienne, à une époque où ceux-ci étaient rares. Un documentaire intitulé Ahead of the Curve, sorti en juin 2021 à l’occasion des 30 ans du magazine (et de la pride), revient sur l’incroyable histoire de Franco, et particulièrement sur les dix premières années du magazine.

Franco a grandi dans le Maryland, à Potomac. Elle s’est mariée à 18 ans, en 1985, et a déménagé à San Francisco avec son mari. Elle s’est découverte lesbienne à l’université, et a été rejetée par sa famille après que son mari leur ait révélé son homosexualité contre son gré. A 23 ans, commençant à travailler dans une librairie queer appelée A Different Light Bookstore, elle se rend compte qu’il y a très peu de publications lesbiennes non-érotiques, et c’est ainsi qu’elle a l’idée de créer la sienne. Elle a voulu créer un magazine « for the everyday lesbian »(a), sur papier glacé, qui parle de lifestyle, d’actualités, de politique, de produits culturels lesbiens peu connus, de célébrités, de voyages… Un magazine qui soit esthétique, qui diversifie l’image de la communauté lesbienne. Franco explique : “I got upset that [femme girls] weren’t treated like real lesbians in the lesbian community. You had to look the part : you needed Dr Martens on your feet, and you needed a short haircut, and no makeup. You had to be able to identify each other like that.”(b). Elle veut montrer une autre image de la culture lesbienne, avec des représentations plus variées, des butchs (lesbiennes « masculines ») aux femmes (lesbiennes « féminines »). Le projet de Franco est rejeté par les banques, à cause de la situation de crise de l’industrie des magazines, ainsi que l’ambition de mettre le mot “lesbien” sur la couverture. En effet, à cette époque, une dissidence sexuelle affichée peut coûter, et comme dit Franco, “it was a big deal back then. You’re reading this, you’re guilty by association”(c): avoir le magazine chez soi ou dans les mains est un aveu direct. Dans un coup de chance improbable, elle gagne assez aux courses de chevaux pour imprimer les trois premiers numéros du magazine, and the rest is history. Le succès est immédiat. Franco raconte les premières années, à voyager de pride en évènements LGBT pour vendre des abonnements dans tout le pays. Dans le documentaire, on voit de nombreux témoignages sur l’impact qu’a eu Deneuve sur des femmes lesbiennes très marginalisées. Un magazine dont les jolies couvertures comportent le mot “lesbian”, qui rapporte les dernières nouvelles du milieu lesbien, montre toutes sortes de belles femmes, de célébrités lesbiennes, parle de sexualité, donne des conseils amoureux, des bonnes adresses, soigneusement envoyé dans des enveloppes en kraft discrètes aux quatre coins des Etats-Unis… Ces témoignages disent combien ces femmes ont pu se sentir seules, dans des communautés rurales conservatrices ou dans des villes où elles ne se voyaient pas représentées. Deneuve les a mises en contact avec la communauté lesbienne, avec la culture lesbienne. Une culture pleine de couleur, d’humour, de glamour, qui partage des grands et petits chagrins, qui donne des raisons d’être fière, d’être forte, et d’être plusieurs.

En 1996, après une attaque en justice de l’actrice Catherine Deneuve pour l’usage de son nom, le magazine change de nom pour s’intituler Curve. En 2010, après deux années de soucis financiers progressifs dus à la crise économique, aux changements du monde de l’édition et de la presse, et à l’acceptation mainstream de la culture queer, mais également à cause de ses problèmes de santé, Franco vend le magazine à Avalon Media, une maison d’édition australienne spécialisée dans les publications lesbiennes. Le documentaire montre également, en parallèle avec la rétrospective sur la fondation du magazine, les questionnements de Franco en 2020 sur le futur du magazine. Selon elle, le magazine, qui s’apprête à couler, s’est dépolitisé sous Avalon Media. Franco se questionne sur la pertinence de la presse imprimée dans une époque de médias multiples, où le rapport à l’information a beaucoup changé. Elle rencontre des activistes queer d’aujourd’hui pour les interroger sur les besoins de la communauté lesbienne contemporaine, afin de savoir si Curve peut y répondre. Qui se définit encore comme lesbienne ? Est ce qu’il est encore pertinent de parler de communauté lesbienne? Comment gérer l’inclusivité du terme, et éviter son sens trans-excluant ? Et comment Curve peut-il être utile à la communauté lesbienne, et plus largement à la communauté queer aujourd’hui ? Franco rachète le magazine et crée la Curve Foundation, à but non lucratif, en 2021. Celle-ci a pour but d’amplifier les voix de la “Communauté Curve” : lesbiennes, femmes queer, femmes trans, personnes non-binaires, de toutes les races, âges et validités. Les trois maîtres mots sont les suivants : culture, connection et visibilité. La Curve Foundation veut encourager et supporter le dialogue transgénérationnel et la diffusion de récits queers et intersectionnels, dans la tradition du journalisme de l’ancien magazine, qui cesse d’exister dans sa forme physique. Le magazine Curve existe désormais sous forme de trimestriel gratuit, en ligne[1]. Franco a à cœur d’investir dans la prochaine génération intersectionnelle, et de fournir une archive communautaire, afin que l’histoire et la culture des femmes LGBTQIA+ puissent être valorisées, et reconnues. Tous les numéros publiés de Curve sont donc disponibles dans les archives du site. Nous reviendrons ici sur un de ces numéros, pour mettre en valeur ce qui a fait de Curve un phénomène queer.

Un aperçu des problématiques de représentation dans un numéro de Deneuve/Curve

J’ai choisi de revenir sur le numéro 5 #3, daté de juin 1995, à l’époque où le magazine s’appelait encore Deneuve, afin de donner une idée de ce que le magazine contient. Ce numéro célèbre la cinquième année du magazine, et la pride de 1995. L’éditorial de Franco, qui ouvre toujours le magazine, met ces deux éléments en relation, associant l’existence (et le succès) de Deneuve à la fierté de vivre ouvertement, sans sacrifier son identité, son histoire ou son futur. Ce numéro revient sur l’histoire et la signification de la pride, et contient également des articles traitant d’art, de politique, et de religion. 

Dès les premières pages du magazine, des lettres de lectrices, choisies et publiées, rendent comptent des sujets importants au milieu des années 1990. Outre les habituels remerciements à Deneuve, on trouve une lettre qui défend le choix de la musicienne Cris Williamson, icône pour toute une génération lesbienne, de ne pas se définir lesbienne, une lettre qui reproche à Melissa Etheridge, autre icône lesbienne de la musique, son commentaire blagueur, jugé de très mauvais goût, sur le fait que Brad Pitt pourrait faire changer une femme d’avis sur sa sexualité. On trouve aussi une lettre d’une des organisatrices d’un festival féminin australien qui a banni les personnes “transsexuelles”, qui précise que les organisatrices ont été dépassées par un petit groupe radical qui a exigé cela dès le premier jour. Elle espère que le bon sens triomphera sur ces voix minoritaires qui parlent si fort et si violemment (si seulement…). Une lettre reproche le ton robotique et ennuyeux d’un article sur les Alcooliques Anonymes, qui pourrait détourner du réseau des personnes qui en auraient besoin. Enfin, un lettre s’indigne de l’affaire de Camp Sister Spirit, où un couple de lesbiennes essayant de construire une retraite pour lesbiennes dans une communauté rurale du Mississipi s’est fait harceler par le voisinage, et se promet de réagir ouvertement et prendre position auprès de ses proches. Dans ces lettres, on voit que toutes ces inquiétudes reviennent vers un sujet, qui reste central à l’identité de Deneuve puis de Curve : la représentation. Qu’il s’agisse d’une célébrité à qui l’on reproche de ne pas assumer sa sexualité, une autre à qui l’on reproche d’affecter la réputation et le sérieux de tout un groupe, ou d’un comité d’organisatrices qui souligne qu’un incident violent qui attire les foudres de la communauté n’est pas de leur ressort, on revient encore à l’image, à combien il est important d’être perçu, et bien perçu, en dehors de la communauté comme en dedans. On voit également l’importance des icônes lesbiennes, figures phares qui unissent la communauté. 

Le dossier sur la pride comprend une rétrospective sur l’invisibilité des lesbiennes aux Etats-Unis, le besoin d’accès aux avantages du mariage pour les couples de même sexe, et le nombre grandissant d’associations et d’activistes queers. Un autre article revient sur les débuts des manifestations des Fiertés, et leur évolution depuis les premières marches homosexuelles organisées par des associations militantes, plutôt sérieuses et empreintes de dignité, vers la première parade de fierté à New York en 1970, qui ouvre le ton théâtral et déjanté de celles qui se poursuivent jusqu’au présent. Un article questionne la pertinence d’une pride gay et lesbienne en juin, estimant les liens entre les deux groupes artificiels, et la date signifiante uniquement pour l’un des deux. L’autrice propose de trouver une date en lien avec l’histoire lesbienne pour organiser une Dyke Pride(d), comme une démarche pour visibiliser un héritage lesbien trop longtemps dissimulé. Des célébrités lesbiennes du monde littéraire, politique et culturel témoignent de leur propre expérience de la fierté. 

Au travers des pages du magazine, on trouve des sélections de livres, de films et de musiques, avec comptes-rendus et commentaires à l’appui, qui informent les lectrices des nouveautés culturelles lesbiennes. Des brèves concernant la communauté lesbienne renseignent sur les dernières news : untel a dit telle chose, telle injustice ou telle initiative a eu lieu. 

Un article valorise le travail de vigilance d’une association contre les discriminations, le suivant propose un carnet d’adresses mails pour rejoindre des cybercommunautés via des inscriptions à des listes de mail. Un article explore la création de performances artistiques par des artistes lesbiennes comme une manière d’échapper à l’hétéronormativité du théâtre traditionnel, où les rôles de lesbiennes sont pratiquement inexistants, et comme une manière différente de voir l’art, qui valorise plus la création artistique et ses ressorts thérapeutiques que le produit fini. Un récit de voyage en Chine, photos à l’appui, est suivi d’un article sur la place d’un clergé lesbien dans les religions principales. Un dossier photo explore la binarité des identités butch et femme, en proposant des modèles photographiés dans les deux styles, comme un appel à reconnaître que les deux extrêmes peuvent cohabiter chez la même personne. L’article suivant se penche sur le travail engagé de la cinéaste Catherine Saalfield envers les femmes qui vivent avec le VIH, et le lien qu’elle tisse entre art et activisme. Une page présente la Baby Dyke Heroine(e) du mois, une jeune de 19 ans qui enchaîne les engagements politiques et sociaux avec une fraîcheur candide. On trouve une chronique cœur amusante, des petites annonces personnelles, et un certain nombre de publicités, petites et grandes, parsemées dans le magazine. Souvent ouvertement lesbiennes, elles proposent dans une explosion de couleurs de l’alcool, des évènements queers, et des produits ou services destinés à la communauté queer (voyages, maisons de publication, livres, cassettes, albums, santé, immobilier…). Il y a également un livret de commande directe à Deneuve de marchandise thème pride, de films, d’objets érotiques, de livres et de musique, de vêtements… 

Le magazine alterne le sérieux des billets politiques avec le mordant des chroniques sur le milieu lesbien, le tout rythmé par de belles photos. Elles sont là pour mettre en valeur une communauté qui est souvent dévalorisée, pour la montrer dans toute sa diversité, et surtout dans sa beauté. Dans le documentaire, la photographe, Deb St. John, raconte : “What I was really interested in was making sure everybody looked gorgeous. Because I think, at that time, a lot of people didn’t really feel good about themselves : put down by society, really rough times with families… It was really a place where we looked positive, we looked great, we looked sexy.”(f). La chercheuse Ann M. Ciasullo revient sur les représentations culturelles mainstream des lesbiennes dans les années 1990. Si la butch reste la représentation de la figure de la lesbienne dans l’imaginaire culturel, elle est invisible dans le paysage culturel. On y préfère montrer des images de femmes féminines, minces, blanches et de classe moyenne-supérieure, qui correspondent aux canons de beauté hétérosexuels. Deneuve/Curve s’engage à une représentation diverses, des corps « perçus comme » lesbiens, qui s’affranchissent d’une validation hétérosexuelle, et du male gaze. [2]

Les articles présentent des artistes et leur travail, très souvent engagé, leur permettant d’élargir leur audience. C’est donc à la fois un espace de construction identitaire et de diffusion. Deneuve/Curve utilise les codes des magazines sur papier glacé mainstream, comme Cosmopolitan ou Vogue, en les destinant à la communauté lesbienne, comme le font déjà des magazines du même style pour un public queer plus large (comme The Advocate, qui se définit comme un magazine à l’intention de la communauté lesbienne, gay, bisexuelle et trans*). Le magazine n’a rien de la production artisanale d’une maison Cartonera, pourtant il joue avec les codes classiques de la presse lifestyle, en les détournant pour soutenir une communauté en expansion dont l’existence même est une contradiction à la norme cishétérosexuelle que diffusent ces mêmes publications mainstream. Il aide à construire/reconstruire un sentiment de normalité, par l’accès à un objet du quotidien, fait sur mesure, par des lesbiennes et pour des lesbiennes.

Queering the archive

Pour Julia Rosenzweig, archiviste pour la Curve Foundation, réunir cette archive, témoin de la culture lesbienne des années 1990 et 2000, c’est un travail qui vient avec des engagements particuliers : utiliser le vocabulaire créé par la communauté LGBTQIA+ pour s’auto-décrire (au travers de ressources comme Homosaurus), dialoguer avec la communauté de laquelle les matériaux sont issus (lien avec Franco Stevens et la Curve Community sur Facebook), et rendre ceux-ci facilement accessibles. Pour une accessibilité réelle et renouvelée, Julia Rosenzweig annonce que l’archive Curve sera bientôt disponible sur Omeka S, un système de gestion de contenus open-source qui permet de créer des liens entre les ressources.[3] Une navigation claire et pratique dans cette archive au vocabulaire adapté est essentielle pour une meilleure représentation lesbienne, pour mettre en valeur l’histoire et la culture lesbienne, et pour générer ou raviver un sens d’appartenance à la communauté, essentiel à des personnes marginalisées. Cet accès à l’archive de Curve est destiné à la fois aux personnes qui ont connu et aimé Curve et veulent renouer avec cette période particulière, et également les personnes qui sont passées à côté, notamment les milléniaux les plus jeunes et la génération Y qui n’étaient pas en âge, ou pas nés.

L’intégration des plus jeunes à une histoire et une culture lesbiennes est cruciale à cette construction d’un sentiment de fierté et d’appartenance à une communauté lesbienne. Et vivement la mise en place de ce nouveau système : si le voyage dans le temps est intéressant à entreprendre, il faut admettre que les magazines, simplement numérisés, ne sont pas très pratiques à consulter. Sur le site de la Curve Foundation, ils sont bien classés par dates, mais en cliquant sur un numéro, on ne peut que passer d’une page à la prochaine, sans aperçu général, ni possibilité de chercher des mots clés. Ce qui est intuitif sur papier devient un réel casse-tête,  les images mettent du temps à charger, les livrets de commande interrompent la lecture des articles, certains sont entrecoupés sur des pages très éloignées, qu’il faut passer une par une… Un simple click donne un zoom qui permet de lire confortablement les articles, cependant la numérisation a donné une image plate : on ne peut pas sélectionner et copier un nom ou un extrait de texte. On peut imaginer qu’une manipulation des magazines pour Omeka S pourrait donner un résultat plus accessible : un sommaire interactif, les articles qui se suivent, et surtout, des textes traités par un logiciel de reconnaissance optique, qui permettrait une recherche par mots clés, et une exportation plus facile du contenu. Mais les quelques défauts du système actuel n’entravent pas réellement la lecture et l’appréciation de ces témoins d’une lutte pour la reconnaissance et la diffusion d’une histoire et d’une culture lesbienne, que j’encourage tout celles et ceux qui maîtrisent l’anglais à consulter.

  • [1] Alive and Kicking (J. Rosenweig & F. Stevens). (2023, 6 février). CURVE. https://www.curvemag.com/articles/alive-and-kicking/
  • [2] Ciasullo, A. M. (2001). Making Her (In)Visible : Cultural Representations of Lesbianism and the Lesbian Body in the 1990s. Feminist Studies, 27(3), 577. https://doi.org/10.2307/3178806
  • [3] Rosenweig, J. (2022, 22 décembre). Queering the Archive. The Curve Foundation. https://thecurvefoundation.org/2022/12/22/queering-the-archive/
  • Traductions :
    • (a) pour la lesbienne de tous les jours
    • (b) ça m’a énervé que les femmes ne soient pas traitées comme des vraies lesbiennes dans la communauté lesbienne. Il fallait avoir le look : les Dr. Martens aux pieds, les cheveux courts, et pas de maquillage. Il fallait pouvoir s’identifier les unes les autres avec ça.
    • (c) C’était tout une histoire, avant. Tu lis ça, tu es coupable par association.
    • (d) Marche de Fierté Gouine
    • (e) l’Héroïne Bébé Gouine
    • (f) Je voulais vraiment m’assurer que tout le monde était magnifique. Parce que je pense que, à ce moment là, beaucoup de personnes ne se sentaient pas bien dans leur peau : rabaissées par la société, avec des moments difficile avec leurs familles… C’était un endroit où on avait l’air positif, on avait l’air super, on avait l’air sexy.

Mujeres creando – Le féminisme Bolivien

Mujeres Creando est un collectif militant créé en 1992 suite à l’élection d’Evo Morales à la tête de la Bolivie. La cause des femmes est vivement utilisée dans sa campagne électorale puis abandonnée ensuite lorsque ce dernier devient président de la Bolivie. C’est dans la rue que Mujeres creando naît, en réunissant des jeunes et notamment des femmes qui soutiennent des manifestations, blocages et événements de contestation dans la rue. Un collectif de femmes se crée et met en place des assemblées générales afin de discuter de la situation politique du pays et de s’organiser pour le futur. Cette assemblée féministe prend forme sous l’impulsion de Maria Galindo, Julieta Paredes et Monica Mendoza et se met en place dans la rue, dans un café de la Paz, ainsi que dans une maison artistique nommée “ la virgen de los deseos”. 

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Mariquismo Juvenil : un.e artiste engagé.e pour un changement social au-delà de la binarité

La Zay

La question du genre a toujours été un sujet récurrent dans le travail de Zallary Cardona (La Zay), artiste graphique non binaire, née à Medellin et fondatrice de la bande dessinée digitale Mariquismo Juvenil qui est diffusée principalement en ligne. Considérant que l’exploration du genre et de la sexualité chez une personne constitue un processus intime et individuel, qui permet à chaque personne de développer sa propre personnalité, La Zay utilise sa propre construction identitaire comme outil de lutte sociale.

1. La question de la diversité en Colombie

Qu’est-ce que le « Mariquismo » ? La Zay suit une tendance de plus en plus présente dans la communauté LGBT+, qui consiste à reprendre l´insulte « Marica », signifiant “pédé” en français ou “faggot” en anglais, afin de se la réapproprier. A partir de la déconstruction de ce mot, il se reconnait fièrement comme « Marica », expression qui devient alors une arme contre la discrimination que ce soit dans son discours ou dans son art. C’est donc dans ce contexte, qu’en 2017, La Zay a créé Mariquismo Juvenil, un espace artistique qui utilise Instagram, plateforme permettant de rendre visible les luttes LGBT+ qui sont censurées et invisibilisées par les médias traditionnels.

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Linda Vellejo – Make ‘Em All Mexican

Qui est Linda Vallejo ?

Linda Vallejo est une artiste Chicana dont l’importance des œuvres a été soulignée dans de nombreux articles témoignant des expériences de vie des personnes d’origine mexicaine habitant aux États-Unis.  L’artiste raconte avoir été influencée par les nombreux voyages auxquels elle prit part lors de son enfance, l’emmenant à un questionnement sur l’identité américano-mexicaine. Née à Boyle Heights en 1951, elle a passé ses premières années à East L.A. avant de vivre en Allemagne, en Espagne pour finir par s’installer en Alabama – des déménagements motivés par un père qui était colonel dans l’armée de l’air comme nous l’apprend sa biographie présente sur le site de l’Université de Californie. Ce n’est que lorsqu’elle est retourne dans le sud de la Californie à la fin des années soixante qu’elle s’immerge a nouveau dans son héritage chicano. Ayant grandi dans un milieu où la culture dominante était blanche et états-unienne de l’Alabama dans les années soixante au début du mouvement Chicano, il était important pour elle de retravailler, mettre en avant et célébrer des symboles traditionnels et indigènes mexicains. Ces questions précédemment mentionnées emmenèrent une réflexion de la part de l’artiste sur l’importance de la couleur de la peau des individus dans la société états-unienne ainsi que dans la culture populaire et filmique du pays.  

The crux of the matter, it seemed to me, was that visual representations of the American Dream did not include me, or my loved ones. I had never seen the golden images of Americana with familiar “brown” faces. Friendly faces, sure—but not familiar ones. The yearning for familiar faces sent me on a quest for images that I could call my own.

Linda Vallejo

Elle décrit elle-même ses intentions dans la vidéo suivante, provenant de la chaîne Youtube de l’artiste:  

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ImillaSkate “Le pouvoir de l’identité faite poésie”

Producciones, Q. (2021, Summer 9). Cortometraje Imillaskate Cochabamba. Youtube

La présidence d’ Evo Morales a marqué un tournant dans la revalorisation des cultures des indigènes boliviennes. Un des aspects les plus visibles de ce changement est la reconsidération les cholas, les femmes andines en jupes, bottes, mantilles et manteaux. La stigmatisation qui leur était associée a changé un peu avec l élection de 2005. Il y a un véritable trésor symbolique dans ces femmes indigènes. “Les Cholitas vont continuer à porter leurs gilets et chapeaux parce qu’elles portent leur culture dans leurs vêtements, leur identité.” Sous le mandat de Morales, premier président autochtone de Bolivie, les électeurs ont adopté une nouvelle constitution qui reconnaissait officiellement 36 langues autochtones et donnait aux autochtones de la nation des droits plus étendus, comme la propriété foncière communale.

Mais la discrimination et le racisme envers la culture chola ne sont pas des problèmes que la société bolivienne conservatrice a réussi à surmonter. Il n’y a pas si longtemps, il était mal vu et quasi impossible qu´une chola entre dans un studio ou un hôtel cinq étoiles. Les autochtones aymaras et quechuas – facilement reconnaissables à leurs vêtements distinctifs – se voyaient refuser l’accès à certains restaurants, taxis et même certains bus publics. Pendant des générations, ils n’ont pas été autorisés à marcher librement sur la place centrale de la ville, ni dans les banlieues riches. Ségrégation incompréhensible dans un pays où plus de la moitié de la population se considère comme autochtone.

D’après les données de la CEPALC, la Bolivie compte la plus forte proportion d’autochtones de la région. Plus de la moitié de la population bolivienne est d’ascendance autochtone. L’aymara et le quechua sont les deux langues autochtones les plus parlées dans le pays

Carte de l ‘ État plurinational de la Bolivie.

On dit souvent que Cochabamba est la région métisse par excellence. Les vallées cochabambinos ont été le lieu de contacts historiques entre différents groupes, ce qui a donné naissance à une dynamique régionale dans laquelle les femmes rurales jouent un rôle important mais ont une identité incertaine. Pendant des siècles, les femmes rurales ont participé à la production agricole, au commerce, à la production de chicha (boisson qui provient de l’empire Inca et est faite à base de maïs fermenté) et à d ‘ autres activités, contribuant ainsi à la survie de leurs familles et communautés dans des conditions difficiles. Cependant, leurs contributions au développement régional ne sont pas reconnues en termes d’avantages sociaux et économiques.

Les principales institutions boliviennes et cochabambines sont patriarcales. Dans les zones rurales, les femmes ont de fortes responsabilités au sein de leur foyer, les hommes étant nettement plus nombreux dans toutes les institutions juridiques, politiques, religieuses et syndicales. Dans ce pays, un certain nombre d ‘ indicateurs sociaux restent bien en deçà des moyennes régionales et des inégalités marquées subsistent entre les régions, entre les zones rurales et les zones urbaines, entre les hommes et les femmes et entre les autochtones et les non-autochtones.

Naissance d’ImillaSkate

Les Imillas patinent dans la rue de Cochabamba.
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Bebé tamal: la mise en récit des cultures autochtones

Au cours de XXe siècle, diverses campagnes de promotion de la lecture et d’alphabétisation se sont déroulées en fonction du projet de l’État mexicain visant à promouvoir l’éducation au Mexique. Les nuances qu’ont pris cette politique d’éducation a fin de la traduire dans les réalités concrètes du pays ont varié d’un gouvernement à l’autre. Cependant, cela a intensifié l’impression et la distribution de matériels d’appui pour l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, ainsi que de matériels de lecture. Par conséquent, l’État mexicain et le Ministère de l’éducation publique sont devenus deux acteurs avec un fort pouvoir de décision sur le contenu, l’aspect visuel, les lieux de distribution et la langue dans laquelle les livres étaient publiés.

À l’heure actuelle, des campagnes d’alphabétisation et de promotion de la lecture sont menées dans le cadre des efforts visant à renforcer les langues indigènes. Le matériel de soutien pour l’enseignement a été fourni à la suite de la prise en compte des besoins spécifiques des communautés. Un exemple illustrant cela a été l’atelier du Laboratoire d’éducation et de médiation interculturelle donné par Eduardo Vicente à San Blas Atempa, Oaxaca, au Mexique. Il a utilisé le modèle numérique d’un livre intitulé Bebé tamal, traduit par lui-même dans la variante linguistique du zapotèque de cette région.

Atelier à San Blas, Atempa, Oaxaca. Source: Laboratoire
d’éducation et de médiation interculturelle (LEMI-UAQ)

Origine et motivations du modèle numérique de Bebé tamal

Fragment du modèle numérique de Bebé tamal. Source : Site web XospaTronic

Sur son site web, Éditions XospaTronic a mis en ligne deux fichiers avec des dessins en noir et blanc, avec des espaces vides et des instructions pour le pliage et le découpage des pages. Il s’agit de l’invitation à créer un petit livre numérique avec la narration bilingue d’une recette pour faire des tamales, un plat typique du Mexique et d’autres pays d’Amérique latine fait de maïs, auquel on ajoute différents ingrédients. La recette peut varier géographiquement et culturellement.

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DANY GOUTTIÈRE- Artiviste colombien, transactiviste, non-binaire

Le contexte et la lutte pour les droits de la population LGTB en Colombie

Comme en Amérique Latine, en Colombie, la population LGTB est l’objet de plusieurs violences et de vulnération de leurs droits. Certains articles affirment même qu’être trans en Colombie est une sentence de mort (DW.Historias Latinas, 2021). Pour comprendre le complexe panorama colombien en termes de violence, il faut partir du nombre moyen d’homicides depuis l’année 2011 et jusqu’à l’année 2020 : 110 par an. Cependant, dans l’année 2020, marquée par la pandémie, ce chiffre est monté à 226, le double de la moyenne. De même, les menaces verbales sont passées de 106 en 2019 à 337 en 2020, les victimes de violence policière sont passées de 109 en 2019 à 175 en 2020. Il est très difficile de déterminer les raisons qui expliquent cette augmentation de la violence car plusieurs facteurs sont à considérer. En premier lieu, les mécanismes de dénonciation ont été diversifiés de sorte que les plaintes ont augmenté.

En deuxième lieu, la hausse de violence est aussi un résultat des mesures de confinement mises en place en raison de la pandémie. Les groupes les plus affectés ont été les femmes trans et les hommes gays. Pour les trans, la forme de violence la plus exercée a été la menace ainsi que pour les hommes gays, l’homicide. Ces statistiques sont partagées par l’organisation de société civile Colombia Diversa, qui travaille autour de la lutte pour les droits de la communauté LGBT. Les formes de violence catégorisées sont les menaces, les homicides et la violence policière. Cependant, d’autres droits sont bafoués constamment. Par exemple, l’accès à la santé, á l’éducation, à un travail et un logement digne, entre autres.

Figure 1 : Types de violence. Colombia Diversa. http://www.colombia-diversa.org/p/que-hacemos.html

Bien qu’actuellement, la législation colombienne ait montré une progression considérable en termes de droits pour la population LGTB, il y a encore plusieurs barrières administratives et de discrimination sociale qui ont ralenti l’application des lois et politiques publiques. La discrimination sociale dans des espaces éducatifs et de travail poussent principalement la population trans à bouger vers des quartiers pauvres, arrêter les études et choisir des professions qui sont transsexualisées telles que le travail sexuel. Ainsi, des problématiques comme la pauvreté, la consommation et le trafic de drogues ainsi que l’accès restreint à la santé sont développées à l’intérieur de cette minorité.  Un autre élément important à considérer est la situation dans laquelle a vécu la population LGTB pendant les années de conflit en Colombie, étant reconnus en tant que victimes du conflit dans l’accord de paix avec la guérilla des FARC. (Colombia diversa, 2019)

Les progressions sur le plan législatif ont pris un certain retard dans le pays. Par exemple, en 1992 l’avocat Germán Rincón Perfetti a présenté pour la première fois une action de tutelle pour réaliser un changement de nom devant la cour constitutionnelle. C’est n’est qu’en 1998 que l’homosexualité n’a plus été une raison pour nier les droits à l’éducation grâce à l’annulation du décret qui signalait que l’homosexualité était une mauvaise conduite de la part des enseignants des écoles. Dans la même période, la cour constitutionnelle a confirmé que l’orientation sexuelle des élèves des écoles ne constituait pas une raison pour nier le droit à l’éducation. Ce n’est qu’en 2007 que le pacs pour les couples du même sexe a été approuvé, de même qu’en 2015 l’adoption d’enfants par des couples du même sexe et en 2016 le mariage égalitaire est devenu légal.

En tenant compte des violences provoquées par le long conflit armé dans le pays, en 2014 la première décision de Justice et Paix est prise, donnant à la population LGTB la condition de victimes des groupes armés. En 2016 l’accord de paix Colombien est devenu pionnier au niveau mondial grâce aux reconnaissances de la population LGTB en tant que victime du conflit armé. Finalement, en 2018 le pays a connu une politique publique LGTB au niveau national. Pour la population trans, quelques progressions arrivent en 2013 avec l’approbation de la cour constitutionnelle des procédures chirurgicales pour des modifications corporelles des personnes trans et pour la première fois, en 2018 l’assassinat d‘une femme trans a été reconnu comme un féminicide. 

Le travail artistique de Danny Gouttière

Danny Gouttière est un artiste colombien de 26 ans qui s’autodéfinie en tant qu’artiviste, transactiviste et non-binaire. Iel est né dans une municipalité proche de la ville de Medellín appelée La Ceja à Antioquia. Sa production artistique est très variée, iel est chanteur·e, peintre, dessinateur·e, écrivain·e, compositeur·e, performeur·se et mannequin. Parmi ses objectifs artistiques nous pouvons trouver la dénonciation de la violence contre les femmes et la population trans ainsi que les impacts du conflit armé sur les territoires colombiens.

Figure 2 : Danny Gouttière. https://danygouttiere.com/
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Arpilleras : la broderie comme pratique de transgression et de subversion féminine. 

En 2000, la Commission mondiale des barrages a indiqué qu’environ 80 millions de personnes étaient déplacées de force en raison de la construction de barrages. Le même rapport indique également que parmi les groupes les plus vulnérables faces aux immenses impacts causés par ces entreprises, figurent les femmes.[1] En 2010, le rapport final de la Commission d’enquête parlementaire sur les barrages, approuvé par le CDDPH – Conseil pour la défense des droits de la personne humaine, indique également que les femmes est l’un des principaux groupes qui subit les impacts de ces entreprises et conclut qu’une action plus spécifique pour ces groupes[2] devrait être prise en compte.

Motivées par le fait que les femmes sont particulièrement touchées par la construction de barrages hydroélectriques, les femmes membres du MAB – Mouvement des personnes affectées par les barrages, ont organisé la première réunion nationale des femmes affectées par les barrages en 2011, à laquelle ont participé environ 500 femmes de 16 États brésiliens, des femmes d’Argentine, du Paraguay et du Mexique. L’un des jalons de cette réunion a été la création du collectif national des femmes affectées par les barrages et le lancement d’une lettre dénonçant les violations des droits des femmes, à savoir la non-reconnaissance du travail domestique à la campagne, la perte de travail et de revenus, l’absence des femmes dans les espaces de prise de décision, la non-qualification des femmes rurales pour le travail urbain, entre autres.

Disponible sur https://cnenebio.wordpress.com/2011/06/08/encontro-nacional-das-mulheres-atingidas-por-barragens/
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ACTRICES

Affiche publicitaire de la série sur instagram. Disponible sur: https://www.instagram.com/p/CMkAdDQpsSO/

En 2016, la bombe #MeToo a explosé avec la dénonciation du harcèlement sexuel par différents collectifs féministes à travers le monde. Ce mouvement a eu son plus grand impact lorsque les actrices, notamment à Hollywood, ont commencé à faire ce genre d’ accusation. Lorsque les plaintes de différentes actrices qui ont été harcelées, abusées physiquement et psychologiquement, principalement par des hommes en position de pouvoir ont été révélées, les réseaux sociaux se sont emballés et ont commencé à faire émerger de partout dans le monde ce type de dénonciations, la guilde des actrices étant celle qui a le plus attiré l’attention, car pour l’opinion publique il était inimaginable de penser que des personnalités publiques d’un tel statut aient dû passer par cette terrible situation.

Ce grand mouvement était également présent en Colombie, mais dans ce cas, son impact s’est fait sentir plus tard. L’une des allégations les plus notoires s’est produite en 2020, lorsque le cas d’actrices colombiennes en formation victimes de harcèlement sexuel dans le théâtre « El Trueque » de Medellin a été révélé. Ces allégations ont été formulées à l’encontre du directeur Jose Felix Londoño, accusé d’abus physiques et psychologiques, d’attouchements, de pelotages et de baisers sans le consentement des élèves. Ces plaintes ont été publiées par différents médias du pays, mais aucune solution juridique n’a jamais été trouvée, malgré le fait que 9 des 16 plaintes contre ce directeur ont été ouvertes au parquet.

À peu près à la même époque, en mai 2020, le collectif artistique féministe Casa Ovella Blava, à travers une web-série intitulée « Actrices », a publié une série d’épisodes qui racontaient le quotidien d’un groupe d’actrices qui se présentaient à un casting pour faire partie de la distribution du feuilleton « La pasion de maria ». L’objectif principal de cette web-série était de montrer et de dénoncer les mauvais traitements physiques et psychologiques que subissent certaines actrices lors des castings et des tournages, ainsi que la pression de travail et les stéréotypes de beauté qui existent dans ce milieu du divertissement. Grâce au travail de ce collectif féministe créé en 2011 dans la ville de Bogota-Colombie, ces questions de harcèlement et d’abus sexuels ont été mises en lumière de manière artistique et bien réelle.


Logo du collectif féministe
Disponible sur: https://www.instagram.com/casaovellablava/
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